vendredi 28 décembre 2018

NOIR et BLANC

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La photo que tu ne verras jamais. Alors ferme les yeux et imagine.

C’est une photographie en noir et blanc, une sorte de photo souvenir prise par on ne sait qui, on ne sait où et on ne sait quand. On peut vaguement la placer dans le temps, les habits et les coiffures sont des indices, et dans l’espace, on sait au moins qu’on est au bord de la mer. Mais on ne saura jamais qui a appuyé sur le petit oiseau. C’est une plage, ou plus exactement la dune au dessus de la plage, petit cordon de dune sur lequel un escalier a été aménagé pour permettre aux baigneurs de descendre. Le photographe tourne le dos à la mer, et s’intéresse seulement à cet escalier et ce qui l’entoure.

L’escalier, le chien, les graviers. Des gens sont éparpillés sur cette dune ou ce remblai. Des femmes sur la gauche, les unes habillées les autres en maillot. Mode des années 50. Des gens au loin qui vont et viennent, sans doute sur le chemin qui court en haut du remblai. Ou de la dune. Ils ont fini de remonter l’escalier ou se préparent à le descendre, ils se croisent sans se voir, silencieux.

C’est curieux comme une photographie peut être silencieuse ou bruyante. Bien qu’on ne l’écoute pas en l’observant, on entendra tout de suite le bruit qu’elle fait, ou qu’elle ne fait pas. Cette photo-ci est silencieuse. Les gens ne se regardent pas, ne se parlent pas, ils vont et viennent sur l’escalier et le chemin du haut sans rien dire. Oui, c’est plutôt un remblai qu’une dune, on y voit des graviers et des cailloux, on devine qu’ils sont inégaux, et les gens allongés n’ont pas l’air si détendus qu’on le serait sur du sable. Mais ils ne disent rien non plus.

Une jolie femme semble nue sur la photo, mais c’est un peu flou. Elle n’attire pas l’attention des autres personnages, même celui qui est allongé non loin d’elle sur la droite reste inerte dans son coin. Une famille en haut du talus avec enfants et la maman. Le papa est certainement parti s’acheter des cigarettes. Le chien s’affaire à farfouiller le sol. Indifférence générale, tout le monde est enfermé en lui-même, tout le monde est seul. Il y a comme un air d’apocalypse et chacun fait sa gueule d’atmosphère.

La femme nue porte en réalité un maillot une pièce près du corps, il est probablement couleur chair mais le noir et blanc l’a fait disparaître. Le corps allongé dans le coin à droite pourrait être un cadavre que les gens ne seraient pas plus émus. Au centre de l’image, assis et habillé d’un T-shirt « Champion 851 » et d’un jogging noir, un homme jeune aux yeux éteints rêvasse sans rien regarder ni voir, passif et hébété. Est-il compatible avec les années 50 ?

Il n’y a rien à faire ici, rien à voir, rien à dire. La vie s’est arrêtée depuis longtemps sur cette plage et personne ne s’en est encore aperçu.

lundi 24 décembre 2018

Travaux de voirie


Inspiré d’une photo de Liu Bolin
Photo de Liu Bolin©

Inspecteur des travaux finis, c’est quand même un drôle de job, mais c’était le seul qu’ils m’ont trouvé, à Pôle Emploi. Pour ma période d’essai, les gars de la mairie m’ont demandé de vérifier au plus près la signalisation au sol, juste refaite en prévision des élections municipales. On m’avait dit, tu verras, c’est facile, tu vérifies le sens des flèches et la blancheur du blanc.

Facile, facile, tu parles. Avec la neige qui est tombée depuis huit jours, la blancheur du blanc, d’accord, mais le sens des flèches, tu peux repasser. Cent fois s’il le faut avant qu’elle fonde. Et quand elle a fondu, je n’en ai pas cru mes yeux, il y avait une flèche sortant du lot qui indiquait la direction de la mer.

Alors ni une ni deux, je l’ai enfourchée et maintenant j’attends son envol qu’elle m’emmène de l’autre côté de la Manche où m’attend ma famille. Finie la jungle.