vendredi 31 juillet 2020

CHAPITRE PREMIER

Ceci est la première page d’un roman d’amour bouleversant et génial dont vous ne connaîtrez l’histoire que si vous l’écrivez vous-mêmes, bande de paresseux. Il durera mille et une pages.

Ceci est la première page d’un roman d’amour bouleversant et génial dont vous ne connaîtrez l’histoire que si vous l’écrivez vous-mêmes, bande de paresseux. Il durera mille et une pages.

Il était en retard à son rendez-vous. Cinq mois de chômage déjà, cinq mois seulement diraient certains, avaient suffi à lui faire perdre toute notion de temps précis. Cet entretien d’embauche était pourtant un rayon de soleil après tant de grisaille, tant de refus polis, quand ils étaient dits poliment, quand les refus étaient dits. Il avait bien tout préparé dans sa tête, aidé par des coaches, des conseils éclairés, des entraînements intensifs, les moindres détails d’habillement et de posture, il savait à quel point les détails comptent, la poignée de mains, la couleur de la chemise, cravate ou non cravate selon les circonstances ce jour là c’était cravate, le teint frais et le regard dispos.

Dispos : non point regard fixe, insistant, embarrassant, impérieux, ni conquérant ni humble, franc sans être direct, décalé sans être fuyant, bref, juste dispos, un regard impossible. Et voilà, après tant de répétitions, après avoir par instant réussi le regard qui tue, il allait arriver rouge, essoufflé, flapi, débraillé, les yeux exorbités. Après le dispos, le fiasco. Après tant de répétitions, bonjour les salutations …

Arrivé à la tour de bureaux, après les passages rituels de la sécurité et de l’accueil, il rejoignit la batterie d’ascenseurs. Ils étaient tous perchés dans les étages, il allait devoir encore attendre, un bref répit peut-être pour remettre un semblant d’ordre au moins dans sa tenue parce que, dans la tête régnait le chaos. Pas le temps, un ascenseur montait du parking de la Direction et la porte s’ouvrit. Il s’y engouffra.

* * *

Elle était de très méchante humeur. Les enfants s’étaient comme ligués pour lui pourrir son petit déjeuner, disputes, jeux inopinés, caprices, paresse, elle n’avait pas pu organiser son apparence inflexible qui la faisait tant redouter dans les couloirs de la Direction de Ressources Humaine dont elle était la cheffe. Il y avait comme un laisser-aller dans son tailleur-pantalon de magazine huppé, dans ses mèches et les choses que je ne connais pas des dames élégantes qui d’ailleurs ne devraient pas importer, s’occupe-t-on de la tenue du Directeur à condition qu’il ait la cravate noire et la chemise blanche ? Mais il y avait comme un laisser-aller, une faiblesse ?

Elle savait qu’elle devait s’entretenir ce matin là avec un candidat qu’on disait prometteur et dont elle avait retenu le profil. Mais elle ne se sentait pas en position de force, cette position qui lui permettait de multiplier les pièges et les difficultés dont l’habileté à se sortir donnerait ou non sa crédibilité au candidat. Non vraiment, cette matinée elle ne la sentait pas, au point de songer à reporter le rendez-vous.

Mais pourquoi pas ? Un bon moment d’antichambre sans explication pour un candidat qui serait évidemment à l’heure, voilà qui remettrait les pendules au pas. Elle ne dédaignait pas ces expédients bas de gamme mais souvent bien commodes, sans pour autant s’en vanter. Le plus difficile était qu’ils soient invisibles non seulement de la victime, ce qui était généralement le cas, elles venaient en servitude volontaire, mais aussi de ses commanditaires qui admiraient son sang-froid, sa sagacité, sa clairvoyance, sa férocité.

Elle se gara dans le sous-sol de la Direction à la place qui lui était réservée, privilège. La porte de l’ascenseur s’ouvrit. Elle s’y engouffra. 

Maintenant c'est à vous. J'ai dit mille et une pages.


 

mercredi 29 juillet 2020

CASTOR & POLLUX

...
Castor sortait de prison. On prétend souvent que la justice de ce pays est laxiste qui envoie des malfaiteurs comme lui ruminer pendant de courtes durées, toujours trop courtes, dans des cellules quatre étoiles, toujours trop étoilées. Ce sont toujours les autres pour lesquels la justice est laxiste, essaye un peu de tenir deux ans dans une cellule de la vraie vie, même une cellule quatre étoiles si elle existe, et nous en reparlerons.

Qu’avait-il donc commis pour être ainsi enfermé ? Les archives judiciaires sont d’un accès trop compliqué mais il était à peu près admis qu’il avait cambriolé la villa immensément luxueuse de ce fameux patron du SBF120, enrichi par des spéculations dont la légalité m’échappe et dont les victimes innombrables sont bien incapables d’obtenir réparation, avec vue imprenable sur les îles du Levant. Vous avez tous reconnu Monsieur Pollux.

Bien renseigné, Castor avait profité d’un voyage mystère de Pollux au Kazakhstan où il devait rester plusieurs jours, pour lentement désactiver les alarmes (cinq jours de travail), dégonder la porte arrière de la cave (deux jours et deux nuits), ouvrir proprement un trou dans le plafond d’icelle (dix-huit heures et trente-trois minutes), et enfin pénétrer dans le saint des saints où l’attendaient, dans l’ordre, un coffre-fort banalement caché derrière un tableau, un tiroir à bijoux bien garni, et enfin Monsieur Pollux lui-même, son trousseau de clés à la main, et qui le regardait d’un air narquois.

« C’est quand même plus facile d’entre avec le trousseau » lui fit-il remarquer. Dieu sait pourquoi Pollux était rentré plus tôt que prévu, mais Castor était bel et bien pris sur le fait sinon la main dans le sac car de sac il n’y avait point. Dehors la gendarmerie avait déployé son escadron et il n’avait plus qu’à accepter sans combattre sa privation de soleil.

Le procès en flagrant délit fut vite expédié et Castor sut que ce fut grâce à la gentillesse de son ex-future-victime, qui l’avait pris en affection, que les juges firent diligence. Et comme il n’avait rien cassé (juste démonté) ni rien volé et pour cause, on fut indulgent et il écopa de deux ans. Quand je le disais, qu’ils sont laxistes.

Mais Castor ne revit jamais Pollux.