dimanche 17 août 2008

Propos... #8&9. Faux et vrai.

8. Vrai-faux et faux-vrai.

Nous ne sommes ni plus faux ni plus vrais dans cette virtualité électronique que dans nos conversations mondaines, nos déambulations de supermarché, nos contemplations de boutiques de colifichets, nos discours chez le coiffeur, nos relations professionnelles, couloirs de bureau, salles de repos, chantiers urbains, machine à café, chaînes de montage, galeries de mine, salle des profs, cafétéria, et il faut bien le dire, famille et amis. Nous sommes toujours en représentation, y compris quand, en toute innocence et en toute bonne foi, nous nous croyons sincères. Il n’y a aucun jugement moral dans ce que je dis.

Un tiers de cinéma, un tiers de tragédie, un tiers de comédie, et un grand tiers de maquillage, hommes et femmes, tous en représentation, tous en scène, nous sommes notre meilleur public nous-mêmes, la seule chose importante reste : tout ce cirque parvient au bout de la nuit à nous construire une vérité. Tu peux donc ne pas l’admettre, mais il y a ta vérité sur mon écran, et ce n’est pas à mon bonnet mais à elle que je parle.

Ecce homo. Il n’entend rien ; il n’entend pas les appels, il n’entend pas les plaintes, comme moi autrefois je ne les ai pas entendues, comme le père n’a pas entendu sa fille quand il aurait dû.

A de rares exceptions près, on est rapidement fixé sur le sexe des écriveurs de l’agora. Quelques détails orthographiques, et hop le tour est joué, une fois éliminé le risque de la faute accidentelle. Il y a quelques exceptions, comme toujours, des petits malins qui alternent, ou qui détournent, ou qui manient le neutre avec une virtuosité admirable. Ils en ont le droit. Dans ce cas la silhouette a du mal à se former et j’ai du mal à lui écrire.

Il faut te dire que notre ami Hank, dans sa hâte de nous clouer sur place, avait interpellé « Monsieur » celle que tous savaient être une dame, charmante en écrit. Et bien sûr je n’ai pas manqué de relever ce point qui révélait son incapacité d’écoute, pour autant qu’on puisse écouter un écrit, or la dame écrivait beaucoup en ce temps là.

La plupart du temps, on sait vite à qui on a affaire pour peu qu’on soit vaguement attentif, inutile d’arriver avec loupe et costume à carreaux. Hank, tu n’as même pas su écouter vaguement. C’est pourquoi je considère que ton « monsieur » destiné à l’une des silhouettes était une preuve ; je te concède que le mot preuve est mal choisi, j’aurais dû dire symptôme, symptôme caractéristique, révélateur, décisif, finalement pas si éloigné de la preuve. Tu n’as pas commis là une erreur anodine que je viendrais exploiter pour éviter de parler du fond, bien au contraire tu as commis l’erreur fatale qui établit de façon définitive ton incapacité à entendre.

9. Conclure ?

Tu le vois : nous ne sommes pas dans le registre de la démonstration.

Nous n’y avons jamais été, nous sommes dans le registre de la chair. Il faut plonger ses mains dans les entrailles chaudes, il faut écouter les paroles tremblantes, il faut accepter que d’autres vivent ce que tu ne vivras probablement jamais et c’est tant mieux pour toi, il faut survivre à ne pas avoir compris, à ne pas avoir pu. Je souhaite que le ciel ne te tombe jamais sur la tête.

Mais il ne faut jamais cesser de tendre l’oreille, et admettre un jour que le bruit qu’on entend est plus important que le bruit qu’on fait.

Envois 7, 8 & 9 confirmés TRA le 25/04/2004

FIN.

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samedi 16 août 2008

Propos... #7. On n’a pas besoin de souffrir soi-même.

On n’a pas besoin de souffrir soi-même.


On n’a pas besoin de souffrir soi-même pour savoir que la souffrance existe. Voir souffrir ses proches, ses plus proches, est douloureux aussi sinon aussi douloureux. Ne pas comprendre ce qui se passe, ne pas savoir quoi faire, faire ce qu’il ne faut pas faire, découvrir qu’il y a des années que le mal mijote et qu’on n’a rien vu rien entendu alors qu’on se croyait bon père, pour certains bon mari ou bon ami, et un beau matin repêcher quelqu’un in-extrémis dans la baignoire ou dans la rivière, moi c’était plutôt baignoire, rend inacceptable que quiconque prenne des airs supérieurs en disant que tout ça c’est du chiqué.

Petit Hank, tous les gens de cette place publique où tu viens te pavaner t’on déjà raconté ce que j’écris. Ils ont tous, subtilement, discrètement, pudiquement, parce que ces cicatrices là sont fragiles, tenté en te montrant leur réalité de te faire admettre qu’on était bien au delà du nombril, et que la vie est en jeu dans cette affaire. En vain.

Et voilà pourquoi j’ai choisi d’interpeler l’homo Hank. Je ne te connais pas, ni ton nom, ni ton visage, ni tes petites manies ni tes grandes qualités, je ne sais rien ; et je prétendrais t’interpeler ! Tu vas penser, tu penses déjà, que la plaisanterie est facile, puisque je peux inventer n’importe quoi à ton sujet. En réalité, je ne peux pas inventer n’importe quoi car je te connais bien plus que tu ne crois. La réciproque pourrait l’être aussi si tu avais fait un peu attention, je laisse assez de traces de moi, les escargots ne font pas mieux. Ainsi, j’interpelle une silhouette qui s’est dessinée sur mon écran au fil des jours, au fil des fils ; j’interpelle la silhouette dessinée par tes écrits ; j’interpelle la silhouette que tu as toi-même construite et qui te ressemble.

Nous formons tous un théâtre de marionnettes, ici, où nous sommes nos propres décorateurs, maquilleurs, et manipulateurs. Il arrive que sa silhouette échappe à celui qui la construit, sur l’écran d’un autre. Il arrive que la création à deux, écriveur et lecteur, ne ressemble pas à l’original, et que d’un écran l’autre les silhouettes issues du même inventeur deviennent toutes différentes. Il se peut que l’homo Hank que j’interpelle ne soit pas du tout celui que tu crois être.

Celui que j’interpelle, où qu’il soit, se reconnaîtra bien. Je sais qu’il existe, et au moins sur l’écran.

#8 à suivre.

vendredi 15 août 2008

Propos... #6. Catilina et compagnie.

Diantre.

Ad hominem ! Voilà longtemps que je n’avais été interpelé en latin. La dernière fois, je crois qu’on m’avait traité de quousque tandem, un certain Cicéron. Avec mon légendaire sens de la répartie, je lui avais répondu vélo toi-même. Du coup il m’a accusé du crime d’abus de patience notoire, et je me suis retrouvé en taule. Alors tu penses, me faire interpeler en latin me rajeunit de plus de 2000 ans, plus aucune clochette ne pourra me traiter de vieux.

Tu m’arrêtes si je me trompe, l’attaque ad hominem est un procédé très répandu dans les débats publics, notamment à la télévision, consistant par un bon mot, un sous-entendu perfide, une révélation personnelle, à détruire en plein vol le contradicteur qui venait de présenter un argumentaire imparable. On évite ainsi de répondre sur le fond, ce qui pourrait être très difficile, on fait oublier le fond, et, suprême avantage, on lui fait toucher le fond, au contradicteur trop habile. J’ai bon ?

Je suis donc celui par qui le scandale arriverait, j’ai pratiqué l’attaque ad hominem. Au passage, hommage du vice à la vertu, j’aurais ainsi validé la solidité de ton axiome, puisque je me serais abaissé à des procédés de petite forme. Tout bénéfice pour toi, c’est bien ainsi qu’il faut dire, n’est-ce pas ? Je reconnais que c’est bien joué, tu retournes le gant en m’accusant de l’attaque, ce qui te permet de ne pas avancer sur le fond. Habile mais spécieux, tu t’évites ce qui gêne, et finalement tu obtiens ce que devrait obtenir l’attaque ad hominem.

Tu as tout faux, mon cher Hank, et je vais t’expliquer ce que tant d’autres ont tenté de te dire mais que tu n’as pas entendu. Tu ne seras obligé ni de me croire, ni de me suivre, ni de me répondre, et je n’abuserai pas de ta patience quoique tu n’aies pas l’éloquence de Cicéron, et ce n’est pas là une attaque ad hominem, c’est juste un constat, une digression, une respiration.

La souffrance ne se démontre pas, Hank, elle se vit, elle peut parfois se deviner si l’on écoute et regarde. La souffrance diminue lorsqu’on est écouté et regardé, souvent, pas toujours. Tout dépend de qui écoute et qui regarde, et comment. Alors tu vois, tes démonstrations, tu peux te les garder. Celui qui n’a jamais eu de rage de dents au milieu du désert à 3 jours du médecin le plus proche n’a aucune idée de ce qu’est une rage de dent, même avec beaucoup d’imagination.

C’est une image, là, Hank, avec toi je me méfie et je préfère mettre les points sur les zi et les barres de chocolat aux thés, respire. La dépression ne guérit pas si vite qu’une rage de dents. Mais je conçois parfaitement que celui qui n’a jamais approché de dépression ne soit pas capable de l’imaginer, même avec beaucoup d’imagination. Je suis bien incapable, moi-même, d’imaginer ce que peut être une rage de dents au milieu du désert à 3 jours du médecin le plus proche. Elles sont toutes là, trente-deux dents bien alignées, blanches et brillantes, une vraie pub de dentifrice, prêtes à mordre. Alors les douillets qui ont peur du dentiste me font ricaner, comme toi les mijaurés.

Point sur le zi : nous sommes dans la métaphore, Hank, on est bien d’accord. Je tente une image, je ne cherche pas à établir de parallèle entre carie et carence, entre émail et émoi, entre racine et corneille (respire, Hank). Je dis seulement que si la rage de dent est une maladie objective et rationnelle, identifiable et mesurable, tout pareillement la dépression est une maladie avec symptômes, causes, conséquences, et soins appropriés, nettement plus difficiles à identifier c’est tout, ce n’est pas rien.

Elle peut provoquer des souffrances abominables, et qui ne les a pas connues ne peut les imaginer.

Envois 5 & 6 confirmés chez TRA le 24/04/2004 à 19h44

#7 à suivre

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jeudi 14 août 2008

Propos ...#5. Il te faut une démonstration.


J’ai bien compris la situation : tu attends, bien campé sur tes positions, ta position car elle est singulière sinon originale, que l’on vienne te démontrer ton erreur. Entre nous, tu n’as pas davantage démontré ton exactitude. Mais qu’importe ; tant que la démonstration n’a pas été faite que c’était faux, tu as décidé que c’était vrai. C’est un grand principe en mathématiques, tant qu’une proposition même non démontrée n’a pas abouti à une conséquence fausse, alors on la considère comme vraie. On appelle ce genre de proposition un axiome, enfin je le crois, je n’ai pas de mathématicien sous la main pour me le confirmer. Tu le sais probablement mieux que moi.

Te voici donc campé sur ton axiome, les bras croisés tel un gladiateur, contemplant l’agitation de la basse-cour. Tu as juste oublié un petit détail : nous ne sommes pas en mathématiques. Nous sommes dans la boue de la vie de tous les jours, et il n’y a pas de démonstration qui tienne. Ici, on ne démontre rien, ici on vit, on survit, on réchappe, on fait avec.

C’est pourquoi il est inévitable, indispensable, obligatoire, d’écouter ce que disent ceux qui parlent, ceux qui écrivent, et même ceux qui se taisent parfois leur regard en dit bien assez. Je ne te demande pas de me lire moi en particulier, tu peux zapper, je n’ai aucun orgueil. Enfin si, mais il est placé ailleurs. Mais je fais partie de la basse-cour, poulet grassouillet prêt à cuire, et c’est toute la basse-cour que tu dois écouter. Ecoute la, Hank, parce que tu y entendras le bruit de la vie même, y compris la tienne.

Tu n’auras pas ta démonstration. Tu peux camper dans ta vérité tant que tu voudras, je t’y laisse volontiers. Je vais vite me replonger dans mes erreurs et mes caquetages de poulet, mais je dois aller jusqu’au bout de cette explication, c’en est une à défaut de démonstration. En effet, tu m’as reproché de t’attaquer ad hominem, ce qui mérite un développement.
écrit le 24/04/2004 chez TRA
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mercredi 13 août 2008

Propos ...#4 - Parlons peu parlons moëlle.

Parlons peu parlons moëlle.

Tu nous interpelles au sujet de la dépression. Je dis nous, non par majesté mais par sentiment de ne pas être seul interpelé ici ; ce n’est peut-être qu’une impression. Impression, dépression, juste une affaire de bars et de barres, après tout. Allez, respire.

La dépression serait, dis-tu, une sorte de fausse maladie de création récente pour pays riche et gens oisifs, qui s’abattrait sur les faibles, les paresseux et les mijaurés, mis au masculin parce que je ne vois pas pourquoi seules les femmes auraient ce privilège de l’être, mijaurées, allez respire, respire ! Sur ces gens de basse-cour, cette maladie aurait pour effet principal de leur permettre de pratiquer l’absentéisme, la dé-responsabilité, le nombrilisme, et tu trouveras d’autres mots à ajouter à la liste.

En poursuivant ton idée, cette maladie remplit les poches de ceux qui l’ont inventée et qui nous l’inoculent à coup d’émissions de télévision, c’est le plus sûr vecteur de l’épidémie, et vide celles de la Sécu, parce que naturellement toutes les consultations, médications, hospitalisations, analyses et autres divans sont remboursés. Tout le monde est content.

Pendant ce temps-là, les courageux travailleurs, les hommes de bonne volonté, les battants dynamiques, et les cerveaux musclés, sont obligés de mettre les bouchées doubles pour faire avancer le pétrolier et nourrir les vieilles mères, pour entretenir la basse-cour des faibles, des paresseux et des mijaurés. Tu nous contemples avec une moue de mépris, et moi je revendique mon appartenance pleine et entière à cette basse-cour, en tant que poulet grassouillet prêt à cuire.

Ai-je bien extrait ta moelle ? Ai-je bien exprimé ta pensée ? Moi j’ai compris ce que j’ai compris ; et pour ce que j’ai compris, maintenant j’écris. Le lecteur ne se trompe jamais sur ce qu’écrit un écriveur ; le lecteur mêle sa moelle à celle de l’écriveur, qui à son tour doit accepter le mélange. Et c’est bien plus qu’une acceptation : le travail de l’écriveur n’a de sens que si ce mélange se produit. Sinon, pas d’écriveur, pas d’écrivant, pas d’écrivain.

Il reste une alternative à l’écriveur : ou bien il accepte que son lecteur invente une moelle qui ne soit pas la sienne, d’écriveur, et le lecteur en devient alors seul responsable, ou bien il reprend sur le métier son ouvrage, cent fois s’il le faut, pour enfermer le lecteur dans sa moëlle d’écriveur. Je choisis la case numéro 1 de l’alternative. J’aime la liberté du lecteur, j’aime qu’un écrit se construise à deux. Tu vois, tu es libre de comprendre ce que tu veux à ce que j’écris, même ce qui t’arrange. Tu n’y manqueras pas d’ailleurs.

C’était juste une petite digression pour respirer. Si tu permets, je souffle moi aussi, je pars vite et je reviens (plus) tard. C’est l’heure de la pub. Attends-moi au bar de Tony, nous n’avons même pas commencé les choses sérieuses.

Envoi 1 à 4 confirmés chez TRA le 24/04/2004 à 09h44.

#5 à suivre

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mardi 12 août 2008

Propos...#3. Je crains d'être un peu long, Hank.


Je vais faire brûler un cierge aux dieux concision et sobriété, sans grand espoir, ces dieux ne m’aiment pas. Mais vient le moment où il faut renoncer aux métaphores, aux digressions, aux fantaisies, aux billevesées. Pour autant, il ne faut pas compter sur moi pour répondre point par point à tes réponses point par point. Je connais ce genre de méthode, où l’on s’attache, phrase après phrase, à réfuter chacune en trois mots énergiques, façon je te cloue le bec.

A force de mettre point par point des points sur tous les points, on finit par se retrouver avec une vraie suspension. Je ne suis pas un thuriféraire de ce genre de macramé. Une phrase n’a de sens qu’avec toutes les phrases qui la précèdent et toutes celles qui la suivent. Je t’accorde deux exceptions, la première phrase du texte qui n’a pas de précédente, et la dernière, je te laisse le soin de deviner pourquoi, tu es grand.

Démanteler chaque phrase une à une n’a jamais réussi à démanteler un texte, sa logique, sa substantifique moelle, disait-on au XVIIème siècle. Il serait utile que tu t’intéressasses à la substantifique moelle, Hank, sans te figer sur mes plaisanteries faciles éparpillées ici ou là, et qui ne sont que soupirs et respirations de la pensée. Peut-être la mienne fait-elle du rase motte, mais elle n’a pas de gros sabots.

Je n’ai pas fini, je reviens.
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lundi 11 août 2008

Propos d’un poulet de basse-cour #1&2.



1. De ma façon de penser.

Il était une fois un monsieur prénommé Hank. Ne me demandez pas pourquoi il se prénommait ainsi, ce serait une histoire sans aucun lien avec mon affaire, et peu importe qui il est en réalité. Je vais dire assez de mal de lui pour ne pas me permettre de gloser sur le nom. Il peut entrouvrir la porte de chez moi et me répondre vertement, tant qu’on reste dans la limite de la décence je valide les réponses. Parfois mes pires contradicteurs sont ceux que je me régale à publier.

Il était donc une fois un contradicteur prénommé Hank qui sévissait sur un de ces forums de la toile où chacun peut allègrement dégoiser et plastronner, bombant le torse et les aphorismes. J’en fais partie. En réalité, je serais curieux de savoir s’il existe des forums où ces pratiques n’existent pas et où chacun se lit et se respecte, sans pour autant sombrer dans la flagornerie et l’amitié de façade, dans le seul but de devenir soi-même un blogueur lu, ce que j’aimerais être soit dit en passant, mais bon je dois être aussi mauvais dans le bombage de torse que dans la flagornerie liquéfiante.

Il y fut question, un jour, dans ce forum, du pourquoi du comment des psys et de leur rôle, du comment du pourquoi de la dépression et des névroses, des psychoses et des troubles de cet acabit. Pour en avoir approchés des verts et des pas mûrs, de ces troubles, je me suis risqué à valider l’existence de cette corporation, son utilité, sa nécessité parfois immédiate, et ses bienfaits. Sans nier qu’il puisse exister là comme ailleurs des charlatans, des profiteurs, des incompétents, des fautifs. Maître Eolas nous a donné dans un billet récent de charmants exemples d’erreurs de médecins de la vraie médecine pour de vrai, comme quoi ce n’est pas l’apanage de ces métiers du mental que certains décrivent comme relevant de la secte et non de la science.

2. La dépression est-elle une maladie?

C’était exactement l’objet de la dispute : la dépression est-elle une maladie ? Il n’est pas question ici d’y revenir, je l’évoque pour que la suite ait un sens. D’un côté était moi, qui donnait leur chance à ces malades, affirmant qu’ils souffrent, qu’ils sont écrasés de douleur sans la moindre atteinte physique, et que pourtant ils peuvent parfois guérir ou au moins s’en remettre. Je prétendais que devions les accompagner dans leur chemin tout en laissant le psy faire son travail souterrain, celui d’écouter, parfois de provoquer, et de temps à autre de piquer parce qu’il n’y a plus d’autre solution pour franchir la crise, sans garantie de résultat mais avec garantie de moyens, présence, confiance, réactivité, expérience.

En face était Hank. J’hésite à caricaturer, pour tenter de décrire le débat, ce serait trop facile en son absence. Pourtant, comment faire autrement ? Il était sa propre caricature. J’ai décrit ce que je soutenais, prends donc exactement le contre-pied de tout et te voici devenu Hank.

Ce qui me choquais et me choque dans les écrits de Hank, au-delà du principe asséné que les psys n’étaient que des escrocs pratiquant dans le champ d’une vaste fumisterie inventée par Freud, était l’idée que les troublés mentaux étaient des mauviettes incapables de se tenir. Il prétendait qu’un coup de pied au Q leur aurait été beaucoup plus profitable qu’une écoute et un soutien, des béquilles médicamenteuses et des présences constantes ; dans son savoir proclamé et sa lucidité courageuse et impitoyable, il était certain que ces ectoplasmes de la vie jouissaient et profitaient de notre compassion et que, bien entendu, ils faisaient durer à plaisir leur plaisir. Sans prétendre que ce genre d’assistés n’existe pas, j'aimais de près un de ces malades depuis trop longtemps pour que le mot de mauviette et ses synonymes plus dépréciants ne me fasse tourner le sang. Le débat s’est envenimé, et j’ai pratiqué la plaisanterie foireuse, le calembour laid et la réponse pirouette cacahuète pour éviter de tomber dans la méchanceté.

Je me suis ainsi rendu coupable d’attaques ad hominem. Il faut dire pour ma défense qu’une fois échangées les explications détaillées de ce que je savais du quotidien de ces personnes, lire que je n’étais pas convainquant et que faute d'une "démonstration" Hank restait "sur ses positions sans rien changer" m’avait irrité. Je pouvais n’être pas convainquant. Il pouvait rester sur ses positions. Puisqu’il avait engagé le débat, il se devait au moins d’expliquer en quoi un vécu bien décrit ne le faisait même pas vouloir réfléchir, je ne rêve jamais de convaincre qui que ce soit, encore moins de démontrer, même s’il pensait probablement que mon vécu ait été inventé. D'autres pourtant avaient donné aussi leurs témoignage autrement plus difficiles que le mien : ceux qui ont côtoyé de tels malades en jugeront, s’ils veulent. Hank était dans l’ignorance et souhaitait visiblement y rester, et avec cette attitude du « je sais rien et j’en suis fier » j’ai un peu de mal à rester calme.

Voici quel fut mon dernier tir groupé vers Hank avant mon départ du champ de bataille.

vendredi 1 août 2008

Je vais décevoir

J'écris peu. Peu de temps, peu d'idées, peu d'énergie. Des mauvaises raisons qui ont raison de moi et de mes bonnes raisons, de mes bonnes résolutions. Je vais écrire ici et là chez les amis, mais rien ne vaut un rendez-vous chez soi, où vient qui veut pourvu qu'il apporte sa pierre à la construction, pourvu qu'il m'aide à construire, puisque après tout un blogue est une lente construction, billet après billet, de ce qu'aucun architecte n'a pu mettre en maquette.

On ne sait ce qu'est un blogue que le jour où il meurt.

Nous sommes le premier août. Loin de mes habitudes à préparer des textes, à les moudre, à les remâcher, avant de me jeter dans le bain en les recopiant dans le cadre prévu à cet effet, aujourd'hui j'écris directement dans ce cadre comme si je commentais ailleurs, pour commenter par voie affirmative ce qui me tourne dans la tête depuis quelques jours, pour te dire quel camp j'ai choisi.

J'ai choisi mon camp. Oui.

Il m'arrive de choisir mon camp. Y compris dans des débats sans queue ni tête, sans arguments ni analyse, sans mise en profondeur en perspective, sans examen soigné du point de vue adverse. Débat? Non, mais combats de chefs et cheftaines, combat de poulettes et de coquelets, ergots sans thérapeutes, egos sans somme, boulets sans chaînes qui dévalent leur pente naturelle pour finir en ronds dans l'eau. J'ai donc choisi.

Sonnez tocsin, j'ai choisi le camp de Philippe Val contre celui de Siné. J'ai choisi le méchant patron contre le malheureux prolétaire. J'ai choisi sans hésiter dès le premier jour, et je n'ai pas changé d'avis malgré le vacarme et la force des adversaires. Et malgré leurs anathèmes, je ne suis pas sûr, ainsi, d'être du côté des bien-pensants. Peu importe d'ailleurs, on est toujours le bien-pensant du voisin.

Un jour j'aurai peut-être envie de m'expliquer, mais aujourd'hui non. La poussière et la boue de la basse-cour me rebutent et je n'irai pas combattre les coqs ni défendre les poules. J'attendrai que de belles plumes fassent le ménage dans ce tohu-bohu d'invectives et de préjugés, de slogans et de faux procès, de certitudes et de lapalissades.

Petit détail: je vais partir pour quelque temps, sans pouvoir ouvrir la fenêtre. Alors déchaînez vos appétits sommaires, rien ne paraîtra avant mon retour, et alors la censure sera sourcilleuse. Non point contre des avis de désaccord, il me va bien qu'on conteste. Mais contre ce qui pour l'instant remplace la pensée. Oui, vient qui veut chez moi, mais c'est chez moi quand même. Et je tiens à la propreté de ma terre battue et de mes tomettes.

Les pierres qu'on y apporte sont des matériaux de construction, pas d'intifada.

fin
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