lundi 18 février 2008

Les paillettes et la vérité #10/10.

10. Conclusion.

Il faut conclure, j’ai déjà bien assez tourné en rond et je vous invite à faire la chasse à mes contradictions, attention à ne pas confondre il y a contradiction et contradictions. Ce petit jeu vous amusera peut-être et me permettra de réfléchir plus loin que ce bout de mon nez, la main dans le sac et la goutte au nez.

Je me garde le droit de juger monsieur Sarkozy sur pièces, y compris celles qu’il me fournit lui-même pour m’esbaudir. Et de ces pièces à conviction, j’en déduis ce que je m’étais confirmé depuis longtemps, Monsieur Sarkozy est d’une vulgarité insupportable, d’autant plus insupportable qu’il fit des taches sur son costume de président de la république, et donc sur mon pays. Car il sert aussi à cela, le Président, à être mon pays face aux autres, et je me surprends aujourd’hui à ne plus avoir de respect pour mon pays, de son fait.

J’emploie ces mots brutaux à dessein, reprenant ce que vous reprochez à l’article que vous mettez en cause, il s’agit bien de mon avis personnel ; j’espère que vous avez compris qu’il ne relève pas d’une simple attitude réflexe de snobinard parisien, mais qu’il révèle la condamnation de l’ensemble, contenu et contenant, après des mois d’observation dont je revendique qu’elle n’était pas complaisante d’emblée ; mais au fond, quelle importance, les complaisants semblent commencer eux-mêmes à douter.

Six mois d’observation n’ont fait que me confirmer dans mes pires craintes d’alors, qui m’auraient valu alors l’accusation de procès d’intention soi-disant mal fondé. Les intentions sont aujourd’hui largement dépassées, au-delà si j’ose dire, de mes plus noires espérances, désespérances. Votre position n’est pas au niveau de l’enjeu auquel nous sommes désormais confrontés et qui est bel et bien un enjeu de civilisation. En cela Edgar Morin a eu raison de choisir ce mot, au risque de le voir détourné et falsifié par le plumitif de service.

Vous vous contentez de critiquer la critique de la forme, sans vous attarder au fait que la seule vraie question que pose l’article que vous visez est la question de la raison d’être d’un président de la République, pour lui-même peut-être, mais surtout pour nous.

Sachez-le, je n’ai que faire d’un président de la République tel que cet Olibrius. Il emmène mon pays dans des territoires qui me désespèrent, et la civilisation dont je me réclame encore dans l’égoût. De la parade de riche à la botte sur le migrant, de la chasse aux écoliers à la haine de l’intelligence.

FIN.

mercredi 13 février 2008

Les paillettes et la vérité #9/10

9. Ce que n’est pas un chef d’entreprise.

Un chef d’entreprise n’est pas un élu. Prétendre gouverner une collectivité comme on gère une entreprise est un non-sens absolu. Maire, Président de Conseil général ou régional, de Communauté de commune ou de la République, il est d’abord élu, ce qui signifie qu’il procède de l’ensemble de la population concernée et qu’il leur doit son poste, y compris à ceux qui n’ont pas voté pour lui. Tout comme Monsieur Sarkozy me représente, qu’il est mon Président, je suis son électeur, son citoyen, quand bien même je n’aurais pas voté pour lui, la meilleure preuve en étant que les lois qu’il fait voter et les décrets qu’il prononcent s’imposent à moi et que mon devoir de citoyen respectueux de la démocratie est de m’y soumettre de mon plein gré.

A charge pour moi de manifester ma désapprobation, raison de plus même, ce qui n’est pas une forme de résistance illégale mais ma liberté de démocrate. Désapprouver ne signifie pas désobéir ; en venir à cette extrémité si par aventure je devais considérer comme nécessaire de me mettre hors la loi de lois scélérates, m’exposerait à des sanctions dont je serai très mécontent mais que je ne chercherai jamais à qualifier d’illégitimes.

Rien de cela n’est valide en entreprise. Je ne suis pas citoyen de l’entreprise mais salarié. Il se trouve que mon métier me plaît et que volontiers j’y passe plus de temps que la stricte règle du temps de travail, beaucoup plus ; que ceux qui insultent les trente-cinq heures viennent me voir, je leur montrerai comment elles n’ont rien pénalisé de la productivité et que elle et moi nous nous y retrouvons malgré tout, oui Alliolie, il des choses qui sont beaucoup plus compliquée que les slogans sans pensée façon Laurence Parisot. Sachez que si je trouvais moyen de vivre sans aller chaque matin aux quartiers que je me dois de fréquenter pour y dépenser mon énergie à rapporter des sous à un lointain financier, plus personne ne m’y verrait, dans ces quartiers, quand bien même mon métier me passionne, ce qu’il fait.

Mon pain à la sueur de mon front.

Le chef d’entreprise ne me représente pas, il représente son entreprise à son niveau tout comme moi au mien, et s’il se fait prendre dans une allée du bois de Vincennes en galante compagnie, je n’aurais pas à en justifier, y compris devant les clients de Belgique. Si alors le Marché m’échappe à cause de cet incident comique, je sais qui est le fautif et je peux regarder les belges en face.

Aucune honte ne ternira le bleu acier de mon regard de fauve, mon Dieu comme c’est beau.

Le chef d’entreprise n’a pas à considérer ses salariés comme ses citoyens, et si l’un d’entre eux lui déplait, il s’en sépare. Certes c’est un peu compliqué encore heureux, et ce sera bientôt moins compliqué sous prétexte de rentabilité ce dont notre Laurence se réjouit à juste titre mais les salariés nettement moins, mais il s’en sépare. Un Président ne peut se séparer de ses électeurs, quand bien même ils seraient un peu bruns de peau.

Le chef d’entreprise ne procède pas de ses salariés, mais de son actionnaire. Aucun salarié n’a voté pour lui, quant à l’actionnaire, le petit jeu des procurations et des accointances fait qu’il a peu à voir au chapitre non plus. Le Chef d’Entreprise n’a pas besoin d’être populaire pour faire œuvre de rentabilité, ce pourrait même être un handicap, et un chef trop apprécié chez lui devient vite suspect aux yeux des possédants. Vous vous souvenez j’espère, les Maîtres de Forges.

Alors cessons de nous donner des airs de compétence économique mal venue en affirmant d’un air compassé que la France se gère comme une entreprise. La voici donc, la civilisation dont il rêve, l’autre monsieur agité ? Oui, je me lâche, devant tant d’infamie. Dans le cas de mon pays l’argent est un moyen de la politique à conduire, dans le cas de mon employeur, l’argent est une fin et le seul objectif qui reste braqué du haut en bas de la structure, je parle bien sûr des étages de l’immeuble, est le résultat net normé au 31 décembre prochain.

Souvenez-vous qu’un jour quelqu’un m’avait fait part de son regret de voir Jacques Chirac attaqué en justice, en ce que cette attaque venait ternir le blason de la France par l’offense faite à un chez d’état, un ancien chef d’état. A l’inverse, un chef d’entreprise traîné en justice laisse le plus souvent les salariés indifférents et parfois satisfaits, et l’actionnaire regrettera momentanément la chute du cours en bourse, il se consolera en voyant que cessent les détournements et les trafics, les mensonges et les combines qui dissimulaient à ses propres yeux la réalité de l’entreprise où il avait investi. Il s’agit exactement de la même question.

On voit bien qu’il ne peut y avoir aucun rapport entre l’autorité et les méthodes d’un chef d’entreprise et celles d’un Président de la République, ne serait-ce que par ce que représente sa fonction face au Peuple qui l’a élu, face au monde qui le regarde et l’écoute. Pour une fois, je vais prendre le Président à son propre mot : il travaille pour la civilisation, à lui de ne pas se tromper de civilisation, à nous d’accepter ou de refuser librement et démocratiquement celle qu’il prétend construire.

Un chef d’entreprise n’a jamais prétendu faire œuvre de civilisation et s’il le fait, il dépasse sa fonction et se plantera en beauté pour mégalomanie, ou alors c’est involontaire, et parfois les deux. Il plantera surtout les salariés, et parfois les actionnaires. C’est pourquoi les actionnaires n’aiment pas la mégalomanie des chefs qu’ils ont choisi, ce n’est pas une civilisation qu’ils attendent, mais du profit.

Je vous le précise, je sens que vous avez besoin de cette précision, ce mot pour moi n’est pas un gros mot. Il n’y a pas que vous qui pourriez le penser alors je persiste et signe, ces mots ne sont pas des gros mots, et je ne deviens pas exémateux à la seule idée que le profit est la fin de toute entreprise qui se respecte.

Je me méfie du zèle de certains de mes amis.


lundi 11 février 2008

Les paillettes et la vérité #8/10.

8. Ce que doit être un président de la République.


Vous avez pu remarquer que j’ai évité d’évoquer les paillettes de Monsieur Sarkozy, vous pourriez me soupçonner de partialité. Enfin presque.

Je l’ai pourtant désigné parfois. J’ai dit le monsieur. J’ai dit l’agité. Il l’est, il n’en fait pas mystère, il s’exhibe ainsi. Que ce soit naturel ou calculé, c’est criant de vérité et je ne fais pas dans le dénigrement facile en me contentant de décrire ce que je vois. Il veut que je vois, il ne peut se formaliser ni vous que je dise ce que je vois et que je le nomme ainsi. Et j’ajoute que ce n’est pas correct d’être ainsi quand on est Président de la République.

L’argument a été cent fois rebattu. Pourquoi n’aurait-il pas le droit d’être naturel et de se montrer tel qu’il est, pourquoi ce formalisme et cette hypocrisie ? Encore ce soir à la radio, un dominicain très propre sur lui a encore utilisé cet argument : c’est un homme et il a le droit d’exprimer ses idées intimes comme chacun. Il était question d’un tout autre sujet que les paillettes et les photographes, mais le principe de l’argument est le même, et la réponse doit être la même aussi. Monsieur Sarkozy est Président de la République, il représente la France, il me représente, et je n’aime pas être représenté par un presque clown, quelle que soit mon admiration pour les clowns et les saltimbanques, eux n’ont jamais prétendu devenir Présidents de la République.

Coluche ? Allons donc. Il a justement fait la preuve de la stupidité d’une telle démarche en montrant à quel point les faiseurs de rois s’en repaissaient, il s’est sauvé à temps, juste comme son numéro prenait mauvaise tournure à être pris pour du vrai.

Personne n’a obligé Monsieur Sarkozy à devenir Président, et il doit par définition même, se donner une posture digne de ce titre prestigieux et des responsabilités qui vont avec. Ce n’est pas une question de naturel ni d’hypocrisie, c’est une question de dignité d’un pays tout entier. L’homme Sarkozy nous est désormais totalement indifférent, ses ennuis de santé comme ses besoins nocturnes, il se doit de nous faire honneur, et j’en suis désolé pour vous comme pour moi, Alliolie, il nous fait honte.

Il croit que nous lui appartenons, il n’a pas compris qu’il nous appartenait, et que lorsqu’il se montre, il nous désigne, il nous expose. Nous, soixante trois millions de français ridiculisés par son ivresse à la tribune, par ses frasques de riche, par ses amours ostensibles, par sa culotte de coureur matinal. Monsieur Giscard d’Estaing avait osé l’accordéon, et il a vite compris le ridicule qui menaçait, il n’a pas insisté. Je n’ai pas d’autres exemples qui me viennent, à part les socquettes de Chirac, mais c’était involontaire.

Je le redis, un Président n’a pas à être ainsi, n’a pas à être un individu comme vous et moi. Moi-même, dans l’exercice de mes fonctions, face à ceux qui représentent des intérêts autres et des puissances partenaires ou adversaires, je me dois une tenue qui va souvent à l’encontre de mes envies, de mes goûts, de mon naturel. Et le surgissement des tripes ne peut se concevoir que dans une ruse tactique bien maitrisée et assez rare pour être payante. Je ne suis qu’à mon petit niveau de soixante-trois millionième, alors que dire de celui que je dois ensuite assumer s’il dérape.

J’étais en Belgique le jour où la télévision de cet étonnant pays a diffusé les images du Sarkozy éméché chez les russes. Vraie ou imaginaire, cette ivresse a été l’objet d’une situation embarrassante où j’ai quasiment été contraint de m’en expliquer par les honorables clients que je visitais. Et pas question de se défiler au motif que je n’aimais pas le triste sire. C’était mon Président et ma compétence technique ne pouvait être reconnue qu’une fois convaincantes les réponses données. Je vous donne cet exemple pour montrer à quel point chaque geste public d’un Président a son importance, et que rien de naturel ne peut dépasser, pas plus qu’une braguette ouverte ou une chemise débraillée. Vous appelez peut-être cette contrainte hypocrisie, je l’appelle respect.

Pour donner un autre exemple, je reviendrai à mon dominicain. Le débat portait sur le contenu du discours de Saint-Jean de Latran. Le dominicain, mis en difficulté par des débatteurs pour une fois solides, avait tenté de minimiser la portée dangereuse des propos du Président en affirmant qu’il exprimait ses convictions intimes de croyant, et que comme tout citoyen il est libre d’avoir ces convictions là. Défense particulièrement pernicieuse, quand on sait qu’il s’agit d’un discours mûrement pesé et écrit au moins en partie par le dominicain en question, et que discourir comme Président devant un pape engage bien plus que la simple intime conviction du monsieur.

Défense à double tranchant qui prouvait si besoin était que les arguments de défense du fond ne tenaient plus et qu’il fallait se réfugier dans un dernier carré de sauvegarde, celui de l’intime où personne n’oserait pénétrer. Eh bien, si, on ose, dès lors que cet intime recèle des envies qui ne vont pas tarder à déferler si l’on n’y prend garde.

Mais notre débat ne porte pas sur ce sujet, ce sujet de laïcité que vos derniers écrits ont également maltraité à coup de lieux communs bien dans la ligne du brave dominicain, qui méritera certainement chez moi du moins, de plus amples écrits, par ce qu’il porte en germe de destruction de civilisation, puisque ce mot est à la mode, à ce qu’on dit. Je ne dénonce ici que le procédé bien au point qui consiste à réduire la portée d’un propos au motif de l’intime dans le seul but d’échapper momentanément aux critiques argumentées, en attendant de les réduire au silence par une autre voie.

Paillettes, je vous dis, paillettes et poudre aux yeux, poudre dans le nez.


#9/10 à suivre
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jeudi 7 février 2008

Les paillettes et la vérité #7/10.

7. Café de flore, intellos et compagnie.

Mais il faut y revenir. Je l’ai annoncé, je l’ai déjà promené dans mon texte, il est temps de l’examiner de près ; il est temps de resserrer le champ sur son cas très particulier, l’intellectuel parisien, l’intello comme vous dites, et comme j’aimerais que l’on dise comme l’on dit métallo. L’intello dont la banalité ambiante à laquelle vous vous laissez aller affirme qu’il est de gauche mais caviar. Histoire de le dégommer un bon coup, qu’il ne nous empêche plus de banaliser en rond.

J’ai récemment entendu que la France était coupée en deux, d’un côté la gauche-caviar de l’autre la droite-cassoulet. J’admets volontiers que ce n’est pas une analyse très fine de la situation avec considérants graves et attendus savants, mais c’est rigolo et devant la débilité complaisante de l’expression gauche-caviar, je me plais à disposer de cette expression, droite-cassoulet. Vous avez dû l’entendre comme moi, elle circule large en ce moment, et elle vaut ce que vaut l’autre. Je sais que gauche-caviar vous est revenue plus d’une fois dans la bouche et que vous vous y complaisez, alors laissez moi ce petit plaisir que je n’ai pas su inventer tout seul et qu’une fille en rouge m’a soufflé dans l’oreille.

L’intellectuel parisien. Intello bien stigmatisé dans sa petite boîte, sa petite étiquette, gauche-caviar, Café de Flore et compagnie : quelle déception de vous voir dans ce marais, particulièrement banal, facile et vieillot. Boris Vian s’en insurgeait ce qui n’est pas récent, Jean-Jacques Rousseau en son temps, et peut-être même Montaigne. J’espère que vous en êtes consciente maintenant. Des siècles que la stigmatisation est éculée, et vous continuez.

Nul besoin de boire son café chez Flore.

Où serait donc le combat, qui contre qui ? Serait-ce bien l’élite parisienne contre le gros bon sens populaire. L’élite ainsi durement qualifiée par vous-même alors même que vous en faites partie tout comme moi, volens nolens, alors même que nous savons tous deux ce que signifie à terme le mépris affiché pour ceux qui réfléchissent et qui se refusent aux facilités. Et quand bien même ils s’écouteraient un peu trop parler, ils se contempleraient un peu trop dans leur miroir, chemise blanche ouverte, en tirant leurs cheveux rebelles, forcément rebelles, en arrière d’un geste nonchalant de la main en peigne ? Et quand bien même ils leur arriveraient de manger un soir de fête une cuillère de caviar ? Est-ce pour autant que ce qu’ils écrivent est disqualifié ? Faut-il ramer dans la misère pour être forcément de gauche ? Le faut-il pour combattre le capitalisme avec des idées et des idéaux ?

Et je suis sûr que parmi eux il en est beaucoup qui ne sont pas de gauche, voilà qui pourrait vous rassurer, et vous inviter à moins les stigmatiser. Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens, c’est bien connu.

Des gouvernements de triste mémoire se sont fait une spécialité de les pourchasser, ces gauches maladroits, caviar et vieilles dentelles. Je ne veux rien stigmatiser ni rien amalgamer, quoiqu’il faille toujours ouvrir l’œil face aux prémisses. Je pense à Savonarole.

Vous pensiez peut-être à autre chose ?

L’élite n’est pas ce que vous prétendez. Quelle est-elle en vérité ? S’agit-il de ces petits marquis qui aujourd’hui se pressent en rubans autour du monsieur agité ? Ses prédécesseurs, j’en conviens, ont eu aussi ces petits marquis, ou d’autres qui leurs ressemblaient comme des frères. Chez ces gens là, on ne pense pas, on ricane, et il est de bon ton dans cette élite de ricaner sur les intellos dont je suis, qui paraît-il se gobergent au café de flore. On les montre ainsi du doigt et on évite par ce pilori de se pencher sur ce qu’ils disent ou écrivent, ces empêcheurs de courtisaner en rond, on désigne ce qui doit être lynché et tous de s’y mettre, et je vois que vous en êtes.

Ils ne sont pas martyrs, ne me faites pas exagérer non plus. Ils vivent bien en général et ont pignon sur rue, encore heureux, et ils peuvent librement s’exprimer. N’en faites pas un titre de gloire et une perversion pour les déconsidérer sous prétexte qu’ils n’ont pas besoin du courage d’un rebelle en dictature. La persécution n’est pas en soi un gage de qualité, et qu’un intellectuel puisse contester la cité librement sans être inquiété ne peut en aucun cas servir à déconsidérer sa contestation. Ce qu’ils disent n’en est pas moins utile à entendre et à humer, et mérite peut-être d’être contesté, mais cette fois par le seul discours.

Il est de nombreuses façons de lyncher, en pays de liberté.

Je suis un snob de chez snob, comme vous dites. "Et quand je serai mort j’veux un suaire de chez Dior". Je vous le disais, ce débat ne date pas d’hier et vous me semblez découvrir le fil à couper le beurre. Voilà cinquante ans que je suis snob, avant je ne connaissais pas le mot mais je devais déjà l’être. J’aime chercher midi à quatorze heures, me noyer dans un verre d’eau, trouver pornographiques les flous de Davis Hamilton et érotiques certaines images crues ; j’aime le théâtre d’avant-garde et je ne fais pas la différence avec un bon vieux Feydeau, un fin Guitry, et un impérissable Molière ou Marivaux. Je pense à une différence de plaisir, bien sûr que les uns et les autres ne traitent pas des mêmes mondes, en sommes nous si sûrs d’ailleurs, qu’ils ne traitent pas des mêmes mondes. J’ai même aimé le dernier Astérix.

Parfois deux mille ans ne suffisent pas et je me complais dans Eschyle. J’aime le free-jazz et le camembert au lait cru. Je suis snob parce que je n’aime pas le pré-pensé, parce que je ne vais pas au succès au seul vu du succès, parce que je me méfie de la lapalissade et de l’évidence. Et j’ai même aimé le dernier Astérix.

J’ai toujours su que l’évidence et la facilité étaient des pièges. Ne croyez pas que je me vante, ils sont nombreux ceux qui m’ont traité de snob depuis tout ce temps et j’ai renoncé à me défendre, je le suis puisqu’ils le veulent et si je peux vous faire ainsi plaisir je me dénonce auprès de vous. Vous ne m’avez pas attaqué par votre billet et je ne cherche pas à rendre des coups que je n’ai pas reçus, je dis seulement ce qui est, à titre d’exemple : je sais depuis longtemps à quel archétype j’appartiens. Mais je n’accepterai pas qu’on me reproche, sous prétexte d’archétype, le moindre commencement de mépris du populaire. Et j’ai même aimé le dernier Astérix.

Ne vous faites pas pire que vous n’êtes. Vous êtes une intellectuelle et de l’être vous va très bien. Acceptez-le, pour vous et pour ceux qui vous entourent. Et si une petite soif vous prend en bas de la rue de Rennes, buvez une orangeade aux deux magots. Une orangeade ou une vodka polonaise, ou une tequila bien tassée. C’est vous qui boirez. Vous serez sûre de ne pas m’y rencontrer c’est trop cher pour ma bourse populaire.

N’oubliez jamais que ce ne sont pas seulement les présidents de la République qui ont construit notre monde, mais les ouvriers de vos maîtres de forges, et les intellos de chez Flore et compagnie, Voltaire, Spinoza, Héraklite et l’armée de leurs descendants dont les noms ne disent rien à l’agité. Sauf, peut-être, idée soufflée par l’esclave plumitif, pour en piller des formules une fois vidées de leur sens.

Et peut-être même que vous aimerez le dernier Astérix.

mardi 5 février 2008

Les paillettes et la vérité #6/10.

6. Populaire.


Il faut devenir plus précis. Tout comme je dérive sur les colères qui me gagnent, vous avez laissé flotter dans votre texte une brume confuse entre succès et paillettes, avant-garde absconse et snobisme, mépris du populaire et philosophie hermétique : des imprécisions, des ambigüités, enfin, que vous n’avez peut-être pas voulues, qui n’y sont peut-être pas, mais que je vois du haut de ma lorgnette. J’ai été déçu de ce paysage là, de ces facilités là, sous votre clavier. Ce n’est que faute de temps, dira votre avocat, on ne peut jamais traiter tous les sujets à la fois, il est difficile d’échapper aux raccourcis quand on veut atteindre le but. Je le sais bien, mais votre avocat a tord.

Tous les philosophes du monde l’ont dit, seul compte le chemin qu’on parcourt, le but n’a pas vraiment d’importance, que nous reste-t-il une fois arrivés ? Vous voyez bien, j’en suis au sixième chapitre, je ne sais toujours pas où je vais, je rebondis de phrase en phrase au prétexte de vous critiquer, ne sachant plus pourquoi nous en sommes venus aux mains. Enfin je continue, comme dit la chanson d’Henri.

Les confusions, du savoir vrai et parfois difficile et du jargon de pacotille, du succès populaire et du spectacle désolant mais couru, de l’érudition un peu hautaine et de la confiture qu’on étale à l’envi, voilà un vieux marronnier de grincheux qui ne savent comment critiquer et qui oublient de réfléchir et faire réfléchir. Franchement, comment avez-vous pu laisser passer ces mélanges et ces amalgames, même au motif de la concision ? Le quart d’une telle approche dans n’importe lequel de vos examens passés et réussi vous aurait donné un zéro pointé, sans le moindre regard du jury indifférent.

Vous savez aussi bien que moi qu’un grand succès n’est pas un gage de qualité, mais qu’il n’est pas davantage une preuve de basse démagogie alimentaire. Alors pourquoi le prétendre, ou du moins y souscrire sans sourire, pour soutenir votre thèse ?

Je vais citer quelques exemples, au risque de me prendre les pieds dans le tapis.

Le prix Goncourt. Il est de bon ton, dans les milieux intellos que vous stigmatisez, de trouver dérisoire ce hochet à écrivains, cette pompe à phynances d’éditeur. On en vient dans cette logique à décider qu’avoir le Goncourt est une preuve d’écrivain raté, de mauvais faiseur, et on ricane. Vous voici satisfaite, les intellos sont des nuls, vous me l’aviez bien dit.

Erreur. Les mécanismes économiques qui font et défont les Goncourt sont des mécanismes de Marché, basés sur le principe de l’offre et de la demande, et tout homme d’affaire sait que pour stimuler l’offre rien ne vaut mieux que d’augmenter la demande. Ce que vous appelez l’économie libérale, en quelque sorte. A partir du moment où l’on attaque les principes même de cette façon de concevoir les relations économiques, on en vient en parfaite logique à démasquer les prix littéraires comme un artifice destiné à gonfler la demande, exactement comme on ferait pour un yaourt ou une automobile. On est largement sorti de la critique désabusée d’écrivains jaloux pour entrer dans un véritable débat digne de ce nom. Et enfermer d’un air supérieur ces critiques dans la terrasse du Flore est une ruse pour éviter ce débat là, ce déballage.

Notez bien que je ne prends pas partie ici pour ou contre le Goncourt en soi, ni pour ou contre la qualité littéraire associée au Goncourt. Sur ce plan seul, je pense que ce prix, et les autres qui l’accompagnent, font œuvre utile en ce qu’ils maintiennent au livre un certain statut qui donne corps à l’envie de lire, et que la création d’une demande pour une œuvre littéraire, bonne ou mauvaise, et une création qui me convient. Le capitalisme a parfois des retombées positives, pour rester dans ma logique antérieure. Mais vous comprendrez par ce que je dis là que le sujet n’est pas l’intello parisien mais porte une charge autrement plus lourde pour se contenter de votre dédain simplifié.

On peut dévier plus loin sur le statut du livre et de l’objet culturel, de son commerce et des profits qui en résultent, mais nous irions trop loin de notre sujet, sans utilité pour le débat, cette fois. Un autre jour, nous y reviendrons peut-être histoire d’avoir d’autres sujets de crêpage de chignons.

Je ne suis pas de ceux qui confondent succès et qualité ; et je suis très hostile à un tel mélange, et à ceux qui le pratiquent, dans le sens du courant du bon vieux syndrome de la star parfaite car star, ou dans le sens inverse du bon vieux syndrome de l’artiste maudit. Par votre argumentaire, vous vous faites la complice de ces mélangeurs en croyant les attaquer. Une salle pleine au Zénith n’a jamais prouvé que la musique était bonne, mais n’a jamais prouvé non plus qu’elle était mauvaise. De constater que Bigard a rempli le stade de France ne me fera jamais dire qu’il n’est pas drôle, et si je le trouve vulgaire c’est mon affaire à moi seul, et si je trouve Bedos ou Roumanov drôles c’est aussi mon affaire.

Lelouch a un succès populaire et je n’aime pas ce qu’il fait, Chabrol aussi et j’aime ce qu’il fait. J’aime ce que fait Godard et il n’a pas de succès. Ce qu’en disent ceux que vous nommez intellos est variable, Flore ou Magots, et si par aventure deux d’entre eux sont en désaccord je sais qu’ils se jetteront les chiffres de fréquentation à la tête, en quoi ils ont tord. Un succès ne signifie ni qualité ni nullité. Une résonance, à la rigueur, un esprit du temps, un universalisme bien trouvé ou, en cas d’échec commercial, une vérité trop difficile à avaler sur le champ, ou un maniérisme trop élaboré ou trop hermétique. On n’a jamais demandé à Mallarmé d’avoir de gros tirages.

Les mystères du succès ou de l’échec n’ont jamais été bien percés, sinon tout le monde en aurait, du succès. Il ne prouve ni n’invalide rien, il est ou n’est pas. Votre journaliste a fait fausse route en accusant le président de chercher le succès par une touche de populaire et de chercher le populaire par la vulgarité. Vous lui avez reproché cette démarche en lui faisant le mauvais procès qu’il ne fallait pas faire car il valide la démarche que vous vouliez attaquer.

Le comportement du président est vulgaire, en gestes, en mots, en postures ; ce n’est pas un plan communication, comme on dit maintenant, c’est juste le personnage. Je n’ai pas assez de connaissance intime pour prétendre que c’est la personne, je m’en tiens à ce que je vois, à ce qu’on me montre, à l’ostensible ; c’est ce que tout personnage public se doit d’accepter pour la part de lui qui est publique, et plus il en met, plus j’aurai à en juger.

Dans ce cas précis, les ingrédients de sa salade m’insupportent. Qu’ils vous agréent n’y changera rien, et je juge sa politique sur ce que je vois, y compris ce que je vois en premier, la salade et son assaisonnement. Il se trouve que peut-être, en négatif, ce sera cette vulgarité qui le rendra impopulaire, c’est tout le mal que je lui souhaite.


Post : Voilà plusieurs semaines que j’avais écrit cette dernière phrase, je ne vais ni la retirer ni l’enchérir sous prétexte de sondages qui vont et viennent. Elle vaut quelle que soit la couleur du jour.

vendredi 1 février 2008

Les paillettes et la vérité #5/10.

Après l'intervention de la police, le 5 février, dernier avatar.

5. La vulgarité.

Revenons à notre mouton journaliste. Vous reprochez à l’article de reprocher à un président de la République de soigner une forme plutôt qu’une autre, et dans le cas qui nous occupe de faire preuve du mauvais goût d’un nouveau riche pour flatter le bas peuple ; c’est ainsi que j’ai compris votre attaque, basée sur l’idée que le mauvais goût est relatif et qu’il est honorable dès lors qu’il plaît au peuple. Pour qui se prend-il, ce journaliste, pour se permettre de juger du haut de sa petitesse de journaleux ce qui est vulgaire et ce qui ne l’est pas ? N’est-ce pas bien la question que vous posez ? Fausse question, nous savons bien ce que nous voulons dire quand nous posons la question mais pour qui se prend-il.

Je ne critique pas l’usage de la fausse question, c’est un procédé d’écriture courant qui permet de polémiquer joliment. Je m’interroge sur la pertinence de votre reproche. Pour être précis, existe-t-il une vulgarité absolue à laquelle nous apprendrions à échapper, et une vulgarité relative croissante au fur et à mesure que l’on descend l’échelle sociale.

Descendre l’échelle sociale, encore un poncif, non ?

Il n’y a pas de vulgarité relative, il y a une seule sorte de vulgarité, et celle-ci traverse tous les milieux et tous les niveaux de richesse. Sans prétendre la définir ici de façon savante et arrogante, je suis assez grand et assez vieux pour être capable de la repérer, y compris chez moi quand soudain elle survient, dans mes gestes brusques et mes actes manqués, dans les tentatives d’évasion de mon inconscient ou de mon cerveau reptilien. J’en révèle alors plus sur moi-même que n’importe quand, et je suis furieux contre le serpent qui a sévi un bref instant.

Vous n’avez jamais employé l’expression méprisante de bas-peuple. Je la devine pourtant dans votre diatribe, en embuscade aussi chez le serpent qui vous hante, et cela me choque. Nous y reviendrons certainement quand j’évoquerai les intellos que vous haïssez, le populaire, le vulgaire, et tout ce qui s’en suit. Relisez-vous : vous emboîtez le pas au journaliste, vous le suivez dans sa logique et ce n’est pas sa logique que vous lui reprochez, mais les choix qu’il pratique à l’intérieur.

Vous lui reprochez de faire sa mijaurée d’intello parisien qui méprise le vulgum, en lui opposant bien entendu votre ami président qui se montre homme comme tout le monde. Homme comme tout le monde implique que vulgarité est comme tout le monde et que critiquer cette vulgarité revient derechef à critiquer monsieur le tout le monde, le ci-devant peuple. On ne saurait mieux montrer comme vous faites que vulgaire est ainsi directement associé à peuple.

Je vous l’écrivais, vous procédez de cette même logique, en contre-champ certes, mais exactement de cette même logique, en glorifiant le vulgaire au motif que c’est populaire quand votre adversaire mépriserait le populaire, c’est vous qui le dites, en le taxant de vulgaire.

Il faut échapper à cette fausse opposition, il faut échapper au schéma contraignant et contrariant de l’association entre vulgaire et populaire, il faut sortir de cette logique. Bien entendu, il me faudrait disserter sur la différence entre vulgaire et populaire. Et si le piège était justement cette dissertation, cette tentation de lier les deux notions, et du coup de les associer, association malfaisante sinon de malfaiteurs ? Et si la seule échappatoire était de proclamer qu’il n’y a rien à voir entre l’une et l’autre, et chacune existe dans un univers qui n’est pas celui de l’autre ? Et s’il fallait d’abord crier cela, au lieu de tergiverser ?

Vous n’avez pas voulu le faire et votre journaliste non plus. Sachez que je trouve infiniment plus de vulgarité dans les comportements des messieurs qui nous gouvernent aujourd’hui, de Devedjian à Fillon, de Copé à Hortefaux. Exactement cette vulgarité que je vois chaque jour chez les élites de nos belles entreprises qu’on nous vante, ces fameux grands dirigeants plus soucieux de leurs parachutes dorés que du développement du commerce et de la recherche.

Et ces grands dirigeants eux-mêmes ont une armée de petits chefs à leurs basques qui en rajoutent, qui se vantent de leur ignorance et qui font profession de mépriser le savoir et surtout la volonté de savoir, l’envie, le désir de savoir, la souffrance de ne savoir pas. Un seul exemple : cette admiration mille fois répétée de ceux qui ont réussi, comme ils disent, sans avoir le bac. Réussir signifie dans leur langue être cousu d’or. Je ne vais pas disserter sur toute la construction mentale qui soutient cette attitude, vous êtes assez grande pour le faire vous-même, qui gagnez vos diplômes à la sueur de votre cerveau en cela vous n'êtes pas des leurs.

Leur petit pouvoir de riches face aux hommes qui triment, et dont ils abusent. Je ne vous parle pas ici des artisans, des petites entreprises qui représentent en vérité l’élite de notre société, la véritable élite, mais ces Maîtres de Forges et leurs sbires qui aujourd’hui encore dirigent le pays et ont fait de ce président leur valet de chambre en lui donnant des hochets brillants.

Je vous fais un discours à la Zola, ringard et vieillot à mon tour. Oui chère Alliolie, la misère est ringarde et vieillotte et je la côtoie chaque jour sans en faire partie heureusement, ce n’est pas moi qui me plains ici. Je comprends qu’elle encombre et qu’on cherche à la mettre derrière le mur de l’ignorance, pour débattre entre nous bien au chaud de ce qui est bien et de ce qui est mal. Votre président a remis le discours façon Zola à la mode, en contre champ, et chaque jour on l’entend un peu plus fort. Votre, notre président à tous.

Voilà ce qui est vulgaire et ce qui ne l’est pas, Alliolie, la vulgarité n’est pas compatible avec la misère. Je sens que vous préfèreriez que je modérasse mon langage, et que je n'utilisasse point le mot de misère, trop chaumière et compagnie n'est-ce pas. Sans parler du subjonctif dont je sens qu'il traîne, employé ici, comme un relent de vulgarité, lui-aussi. Je reprends ma phrase et je n’écris donc pas misère, à vous qui croyez qu’elle n’existe pas chez nous : la vulgarité n’est pas compatible avec la pauvreté, celle-là existe bel et bien, comme vous savez.

Je sais, pour la voir chaque matin s’étaler avec suffisance sur la moquette des étages prestigieux, où elle se trouve, la vulgarité.

Ces gens là, dont vous êtes persuadée que je les caricature, ce sont aussi des intellectuels, et eux aussi prennent des airs suffisants devant un ouvrier qui ne comprend pas son licenciement, une secrétaire enceinte qui se voit reprocher son enfant, un cadre âgé qui se voit placardisé pour cause de vieillerie. N’oubliez pas au passage la grande hypocrisie générale qui prétend mettre au travail les vieux en leur reprochant de ne pas courir comme des lapins, de coûter cher, de dépenser gros.

Voilà ce qu’est pour moi la vulgarité. La bassesse. La grossièreté. L’ignominie. Tout ce dans quoi aujourd’hui cinquante-trois pourcents de mes compatriotes sont très satisfaits de se vautrer. Je suis démocrate et je respecte les lois votées par des élus que je n’ai pas élus. Mais je suis démocrate et je garde mon droit à m’en plaindre, haut et fort. Je ne suis plus au stade du procès d’intention comme vous me le reprochiez pendant la campagne, je regarde et je vois, et ce que je vois est pire que ce que j’imaginais dans mes pires cauchemars.

Je garde le droit de juger comme je veux ceux qui pourchassent les enfants un peu trop typés en leur tendant des pièges. Ceux-là, je les appelle des ordures, démocratiquement élues.