jeudi 23 juin 2005

Feuilleton télévisé - Quatrième épisode


Bien sûr, il a commencé par le passage obligé des banalités. Tout avait été organisé pour ce début là, Olivier le Maître de cérémonie et ses acolytes n’imaginaient rien d’autre. En étaient-ils capables, d’ailleurs ? Alors, Dominique Strauss-Kahn nous a dit dans le poste qu’il avait bien entendu la colère qui s’était exprimée et qu’il se devait d’en tenir compte, il a expliqué que lorsque les règles démocratiques de fonctionnement interne du parti sont bafouées il fallait prendre les mesures qui s’imposaient, et que les roquets qui ne respectent pas les règles, vainqueurs certes mais bafoueurs aussi, doivent assumer leurs choix, il a disserté sur le sursaut d’autres disent rebond, de la gauche pour alterner un grand projet ou un truc dans ce genre là, car comment les nons pourraient-ils exister sans les béni-oui-oui dont je suis, tout le monde sait que les béni-oui-oui n’existent plus de toutes façons à la niche les béni-oui-oui et s’il y a encore Hollande ce sera sans moi voilà ce que disent les nons joyeux, et Sarko rigole aussi d’ailleurs, mais là ce sont mes pensées qui couvrent la voix de Doumé, lui pendant ce temps il aligne ses banalités du boulevard obligé. Mes soi-disant pensées, n’exagérons rien.

Il a certainement dit beaucoup de choses de bon sens. Plongé dans mes soi-disant pensées de béni-oui-oui de la niche, je n’ai pas bien écouté, mais il m’a semblé qu’il s’agissait de propos de bon sens. Tout ronronnait dans le regret et la tristesse, avec un léger goût de langue de bois. Si je vous ai écrit jusqu’ici, à vous qui avez lu jusque là, ce n’est point pour vous arrêter dans cet ennui de routine.
Une petite phrase est passée comme les télés les aiment ; je ne sais pas si la télé a aimé cette petite phrase, et je ne jurerais pas que Dominique Strauss-Kahn ait été sincère en la disant. Je ne demande pas aux hommes politiques d’être sincères obligatoirement, je leur demande d’être intelligents, fidèles et courageux. Courageux pour dire autre chose que ce qu’ils croient qu’on attend d’eux, dès lors qu’il faut rester fidèle à ce sur quoi on s’est construit, intelligents pour le dire en sachant distinguer le possible du souhaitable. Alors, la sincérité, non franchement je ne vois pas ce qu’elle pourrait faire dans cette galère.
Je les veux fidèles aux idées qu’ils construisent, et non à celles des autres sur lesquelles on va surfer en vain. Je dis les idées, je ne dis pas les promesses, il y a longtemps que je ne crois plus au père Noël. Et s’il arrive que ces idées soient minoritaires, un temps, un long temps, toujours, courage de les défendre contre vents et marées. Nous sommes loin du surf, semble t’il.
Je peux vous fournir deux exemples récents où courage et fidélité furent présents ; Simone Veil et l’avortement, Roger Badinter et la peine de mort. La sincérité aussi était présente, je le concède, mais elle n’était pas obligée.

Je demande aux hommes politiques de ne pas flatter les bas instincts de tout un chacun, le Peuple comme ils disent avec un pet majuscule montrant ainsi tout le mépris que lui portent ceux qui s’en réclament avec ostentation, à commencer par les miens si vous saviez tous les bas instincts que j’ai. Déjà que j’ai du mal à lutter conter eux, alors si en plus ils viennent me les flatter je ne réponds plus de rien.

J’en étais où, déjà ? Oui, la petite phrase. Notre homme avait donc disserté sur le nécessaire rassemblement des gauches et il y a du boulot je l’ai dit, rien qu’à voir comment les nons de gauche veulent voir ramper à leurs pieds les béni-oui-oui complices du grand capital. J’avoue ne pas y croire, j’avoue ma conviction désespérée de la victoire offerte dans un fauteuil à Sarko par le roquet et la grande gueule de service chargé de la basse besogne.
Mais il était dans son rôle de se dire confiant, on n’a jamais vu un homme politique au fond du trou dire qu’il est au fond du trou, et encore heureux qu’il ait tenu son rang. Je n’en attendais pas davantage. Il me réservait une surprise. Ne croyez pas que je vais faire une révélation stupéfiante, il est même probable que personne n’a rien remarqué. Je suis le seul qui aie accordé un tant soit peu d’importance à un propos peut-être anodin que personne n’a relevé. Alors mes quatre épisodes ne seront pas écrits pour rien, ne serait-ce que pour dire qu’un auditeur au moins a donné à cette phrase l’importance que DSK, voici enfin les initiales, voulait lui donner. Voyez-vous, de cela au moins je suis sûr, que cette phrase était pour lui bien plus importante que tout l’exercice obligé qui avait précédé et toute la péroraison qui suivra.
Vous avez le droit de vous en foutre. Moi, non.
Il serait temps que la montagne accouche de sa souris. Comme tout homme politique jeté à terre par une baffe magistrale, il tentait dignement de se relever et je l’ai trouvé digne, quand cruellement mais c’est leur boulot de l’être le Mazerolles a posé la question qui tue. Ne croyez-vous pas, a-t’il dit en substance, qu’il y a deux gauches comme depuis toujours, une réformiste qui fait avec et une radicale qui veut faire sans, une de gouvernement et une de rupture, et que ces deux gauche sont aujourd’hui irréconciliables.
La question qui tue je vous dis.
La seule issue pour ne pas lourdement rechuter était de louvoyer, de languedeboiser, de jacklanguer à fond, pardon, à donf. Il aurait pu repartir de plus belle sur la démocratie interne du parti, le vote des militants, le congrès de l’automne –une mort annoncée-, il aurait pu dévaloriser les révolutionnaires de salon et les surfeurs de colère, et tous ces trucs d’homme politique chevronné. Je ne lui en aurais pas voulu, et j’étais entré en catalepsie depuis un bon moment. Vous aussi, d’ailleurs.
Il s’est pourtant contenté de dire qu’il récusait le terme de réformiste et l’expression faire avec, et qu’il avait toujours conçu son action comme une action de rupture, au même titre que ceux qui la prônent sans s’en donner les moyens. Il n'a rien dit de plus et il est passé à autre chose.
Vous allez ricaner. Je vous entends déjà. Ne vous fatiguez pas, je connais d’avance tous vos arguments pour me démontrer qu’il s’agit d’une pirouette justement d’homme politique chevronné et qui n’engage à rien, qui n'engage que ceux qui la croient, la formule d'usage est usagée. Je me répète cet argument soir et matin depuis.
Il n’empêche : placé dans la même situation, Jospin avait renié jusqu’au mot de socialisme ;
il n’empêche : à moitié groggy, il refusait la concession ;
il n’empêche : appâté par le journaliste retord, il refusait de saisir la perche ;
il n’empêche : rejeté par les siens, il proclamait son camp.
Chapeau, l’artiste.
(FIN)

mercredi 22 juin 2005

Feuilleton télévisé: Troisième épisode

Certains le disent vicomte, mais petit marquis lui sied. Le petit marquis a parfaitement raison de triompher. Il est le vainqueur. Grâce aux voix de ma camarade, le voici promu matador de l’Europe, olé. Il n’en espérait pas tant de sa carrière politique. Il a pour moi deux grandes qualités, cet homme.
La première est que je l’ai toujours entendu vouloir la mort de l’Europe. Il ne nous a donc pas pris en traître, il ne fait pas partie de ces opportunistes gluants qui ont surfé sur la vague de juste colère pour se hausser du col, fût-ce au prix de la destruction d’un rêve en général et de leur parti en particulier. Le marquis a donc tous ses galons de cohérence et de continuité, et cohérent et continu de même, je continuerai à le combattre au lieu de lui dérouler le tapis rouge comme le font les nons d’aujourd’hui.
La deuxième qualité est que sa xénophobie est ostensible. A la différence de quelques autres, il ne s’embarrasse pas de contorsions indignées et s’il n’a pas cité dix-neuf fois le mot de Turquie pendant son quart d’heure de célébrité devant Mazerolles il ne l’a jamais prononcé. Je ne compte même pas les mots d’immigration ni de sécurité. On sait très bien dans quelles terres chasse le marquis et ceux qui lui déblaient le terrain devraient s’en souvenir, et la vague à surfer dans ce coup là est connue depuis belle lurette. Nos petits nons ne sont plus à une vague à surfer près.
Qu’on se le dise, voir parader devant tous le grand vainqueur de ce désastre ne constitue que l’aboutissement logique de l’autosatisfaction des nons. Quant au progrès social, on demandera au marquis de s’en occuper, je suis sûr qu’il nous trouvera de très bonnes solutions, et la tête de turc c’est comme son nom l’indique.
Vint le tour de Strauss-Kahn. J’ai fait court, sur le marquis. Je vais me rattraper sur l’éléphant de service. Il y aura un peu de tartine sur le troisième épisode, et le reste viendra avec le quatrième et dernier. Il avait l’air fatigué, Doumé. Anne devrait se faire du mouron. Voir la fatigue à travers le maquillage est très mauvais signe.
Tout était donc en place pour que s’ouvre le boulevard des banalités d’usage, il ne lui restait plus qu’à s’y engouffrer ; depuis quelques jours on en a l’habitude, bien que le lenteur de mes interventions commencent à me décaler de l’actualité. A peine si l’on se souvient qu’il y eut un référendoume, seule l’attitude Blairienne nous rappelle que nous n’avons plus voix au chapitre. C’est bien ce qu’ils voulaient, les nons, non ?
Un détricotage inexorable.
Les banalités d’usage, vous les connaissez toutes : le message des français qu’on a entendu, le grand sursaut qui va venir, ou le rebond parfois plutôt qu’un sursaut, la désunion qu’on saura éviter, les morts qui vont parler, De Gaulle aurait voté ceci ou cela, et Mitterrand aussi, Mendès, Jaurès, et bien d’autres. Ne pas oublier le Grand Projet d'alternance, pour faire bonne mesure. Et si on a exclus des trublions, c’est juste une question de statuts et non de non.
Bon, si vous trouvez d’autres banalités vous pouvez les ajouter, je fatigue et je m’énerve à les aligner. Je manque d’imagination en matière de banalité, je ne ferai jamais un bon politique. Je m’attends donc à tout et même au pire quand Strauss-Kahn commence à répondre aux questions de ses interlocuteurs. Et ces questions naturellement l’embarquent directement vers les banalités attendues, à croire qu’ils sont tous complices.
Il n’était pas si fatigué qu’il paraissait, le Doumé. Alors je vous en parlerai quand j’aurai le temps, avec le quatrième épisode.
(À suivre)

mercredi 15 juin 2005

Feuilleton télévisé. Deuxième épisode.


Vint Buffet. Elle ne marche pas, la Buffet, elle navigue sur son nuage à dix centimètres du sol, elle aurait été élue Présidente de la République avec cinquante-cinq pourcents des voix qu’elle ne serait pas plus lévitante. Personne n’a eu la rudesse d’un atterrissage forcé en lui rappelant les divers termes de l’addition qui aboutit à cinquante-cinq, en lui rappelant que certains d’entre eux ne sont pas exactement du côté qu’elle fait semblant de croire. On l’a laissée dans sa description euphorique des assemblées populaires qui se lèvent de toute part en France et en Navarre, le vaste mouvement solidaire et fraternel à travers l’Europe qu’a enclenché sa victoire à elle toute seule ; bon je dois être un peu sourd et très aveugle, moi.
On va me reprocher de chipoter et de vouloir dresser les unes contre les autres les diversités du Peuple uni. On va me demander de prouver que Buffet n’est pas majoritaire en Europe avec ses idées, il faut toujours prouver n’est-ce pas, il est interdit d’avoir un avis sans preuve c’est la nouvelle loi de ces messieurs. Je dis bien sans preuve, je ne dis pas sans réflexion. Aujourd'hui, la preuve ou prétendue telle, remplace la réflexion. Je vois donc je crois a remplacé je pense donc je suis. Je vois à la télé est même encore mieux. Ainsi tout le monde le voit que le suffrage universel avec des majuscules partout a parlé, je retourne donc à mon ignominieuse attitude antidémocratique.
Attitude qui consiste à observer que, si une voix en vaut une autre dans le décompte et la décision finale, la simple addition d’icelles ne suffit pas à l’analyse. Et que l’addition de voix incompatibles entre elles débouche rarement sur des lendemains qui chantent, ou tout simplement qui bougent, ou qui bougent là où les uns ou les autres aimeraient qu’ils bougent. On n’a pas le droit, il est interdit, il est scandaleux, et on est passible des pires avanies, d’avoir une telle attitude et de réfléchir au-delà du slogan et de la grandiloquence. C’est ainsi que la démocratie des nons prospère youp la boum.

La Buffet ne s’est pas privée de prendre un air scandalisé devant le soupçon de xénophobie. Bien sûr que les plombiers polonais on les aime, et les électriciens portugais catégorie courants faibles, et les maçons calabrais, j’en passe certainement et des meilleurs comme d’hab., prolétaires de tous les pays tout ça.
Je l’aime bien moi la Buffet. On n’a pas quarante ans de compagnonnage pour rien. Mais on va comprendre pourquoi l’Olivier que je n’aime pas peut dormir tranquille. D’abord, pour une coco, j’ai bien le droit de l’appeler ainsi depuis le temps qu’on me traite ainsi, elle n’a pas bien lu Marx. Elle n’a pas bien lu que c’est précisément le besoin qu’a le capitalisme de se répandre à travers le monde sous peine de mourir d’asphyxie qui donne aux soutiers du capitalisme le moyen politique de lui résister, en particulier par l’utilisation des mêmes moyens politiques supranationaux que ceux qu’il est obligé de mettre en place.
Elle n’a pas compris que ces moyens politiques peuvent devenir, y compris par voie démocratique, et y compris quand ces outils sont faits apparemment sur mesure pour les méchants exploiteurs, les instruments de la libération des peuples. Et je mets soigneusement une minuscule à peuple, parce que justement je le respecte, moi, dans son incertitude et sa vraie diversité. Je ne vais pas vous tartiner sur les contradictions internes, allez revoir vos fondamentaux. La seule vérité est que leur outil est aussi le nôtre et que là se trouve la seule entente qu’on puisse avoir avec eux. Ils ont besoin de cette entente là, et nous autant qu’eux. Mais encore faut-il qu’on veuille s’en servir, de l’outil, au lieu de le casser, comme un enfant en bas âge casse son jouet de Noël trois minute après l’avoir reçu.
A l’inverse, la division en petits groupe des soutiers en question, même si elle crée une gêne à l’épanouissement des grandes fortunes, rend bien plus incertaine, et le terme est faible, l’issue de leurs combats, les grandes fortunes pouvant mobiliser tous leurs moyens, et les soutiers étant isolés les uns des autres. Dans l’Europe d’aujourd’hui que vous avez voulu, rien ne permet la moindre alliance avec le plombier de là-bas et l’électricien d’autre part. Rien, et surtout pas la porte que nous venons de leur claquer au nez.
J’emploie le mot soutier. Le mot travailleur est un peu trop machinal, le mot ouvrier un peu trop réducteur. Il y a des ouvriers, des travailleurs, des hommes, des femmes, des techniciens, des cadres, des commerçants et des financiers, parmi les soutiers. Dès lors qu’on perçoit une rétribution en échange d’un travail, que celle-ci serve juste à survivre, qu'elle serve à vivre et parfois à bien vivre, on est un soutier.

Buffet n’a rien compris. Elle ânonne avec un bel enthousiasme que le Peuple du non se lève, regardez partout la joie dans les yeux à travers les rues des-villes-zé-des-campagnes, regardez, bon, elle nous la fait 1789. Ma petite Buffet, c’est ton discours de télé que tu tiens, là. Ne me dis pas que tu y crois. Tu sais aussi bien que moi que ton électeur du non jamais ne votera pour toi à part une petite dizaine de pourcents, tu sais aussi bien que moi que ces autres nons qui te font déjà défaut ont parfaitement su qu'en votant non le plombier polonais resterait dehors devant la porte, draussen vor der Tür. Alors n’en rajoute pas trop à l’indignation devant le mot de xénophobie. Je ne saurais dire si c’est toi qui profites de la xénophobie des autres pour gagner, ou si ce sont les xénophobes qui t’ont enrôlée à l’insu de cecicela, mais l’indignation est de trop, vois-tu : tu sais très bien sur quels œufs tu as marché et quelle omelette tu as faite.
D’ailleurs, il suffit d’ouïr le petit marquis qui rit qui suivit.
Un dernier mot avant que tu partes, Marie-Georges, à propos d’amalgames, de confusion et d’additions sommaires. Tu ne t’es pas privée de jeter dans le même panier d’ortie tous les béni-oui-oui, complices des vilains profiteurs de pauvreté et exploiteurs du genre humain : tu as jeté dans le grand cloaque des nantis les quarante-cinq pourceaux qui ne t’ont pas crue.

(A suivre)

lundi 13 juin 2005

Feuilleton télévisé. Premier épisode.

Un clou chasse l’autre. Florence Aubenas a pris toute la place médiatique et parler d’autre chose a perdu toute importance. Je vais donc vous parler d’autre chose, de mes vieilles lunes de préférence. Mais autant le dire tout de suite, je suis comme soixante millions de français grâce à Florence et à ceux qui ont travaillé pour elle, un peu plus libre aujourd’hui qu’hier. Mes vieilles lunes n’ont aucune raison de bouder mon plaisir mais ce sont elles qui maintenant vous importunent.

Je ne regarde jamais la télé. Enfin, presque jamais. Enfin, sauf quand je la regarde. L’autre soir, par exemple, j’ai terminé mon dîner un peu plus tard que d’habitude et j’ai laissé se commencer l’émission avec moi au lieu de vaquer ailleurs. Je n’aurais pas dû m’attarder sur ces fraises à la crème. Ils connaissent bien le truc, les télévisuels, tu regardes le début t’es perdu, ton cerveau devient une boisson.

Ils devraient pourtant réfléchir aux longs tunnels d’avant neuf heures du soir, qui me permettent en général de m’enfuir à temps. Mais ce soir là, les fraises furent sucrées à 21h12 et je me suis laissé entraîner dans le poste, cent minutes qui ne m’ont pas convaincu.

Olivier Mazerolles avait invité quatre politiques. Je n’aime pas Olivier Mazerolles, je n’aime pas grand monde de ce monde là, ce n’est pas grave pour lui et il a bien raison de dormir tranquille, ce n’est pas grave pour moi je ne regarde jamais la télé. Je ne sais plus quel était le sujet, disons pour faire vraisemblable qu’il fallait examiner les conséquences du vote qui a eu lieu il y a dix millions d’années déjà, notre prout international.

Borloo, Buffet, Villiers, Strauss-Kahn.

Il avait pris soin de les faire intervenir les uns après les autres dans l’ordre d’apparition susdit, professionnel tout de même, l’Olivier.

Borloo. Le gaucho de notre Argentine à nous, celle du grand Peron escogriffe et son Eva à sac à main intégré. Il n’a pas dit un mot de l’Europe en bouillie, visiblement il s’en tape et il a raison, tout le monde s’en tape de l’Europe. Vous avez vu un média qui en parle, vous, ces jours-ci ? Parlons peu parlons bien, du présent, du futur, et non du passé décomposé.

Il s’est tortillé sur son fauteuil pour expliquer comment il allait faire les miracles que ses petits camarades n’ont pas faits depuis trois ans de pleins pouvoirs. C’est même vous qui les leur avaient donnés, les pleins pouvoirs, en ne vous dérangeant pas pour les législatives qui ont suivi le vote bananier et présidentiel de 2002. Vous avez bien compris que je vous parle de ces troisième et quatrième tours qui ont suivi le carnage, où rien ne vous empêchait de rattraper le coup. Mais non, vous êtes restés chez vous à vous lamenter, et trois ans plus tard vous avez aggravé votre cas sous prétexte de colère.
Ils sont restés bouder chez eux en juin 2002, les nons de maintenant qui prennent des airs de martyrs du capitalisme, ces nons qui alors ont tant fait défaut aux socialistes. Je ne parle pas de ceux qui de toutes façons ne votent pas pour les socialo communistes, beurk, et ne voteront jamais pour eux plutôt crever. Je parle des nons de gôche. Grâce à eux en 2002, pleins pouvoirs aux copains de Borloo, grâce à eux en 2005, un beau prout à la face du monde. Les autres auraient voté non de toute façons.

Pendant ce temps Borloo parlait et je n’ai pas trop écouté. Exit Borloo. (à suivre)

lundi 6 juin 2005

La Honte

La honte.

6 juin 2005. L’autre soir je suis rentré fatigué. Il était tard, depuis qu’on fait 35 heures, c’est fou ce que je rentre tard. Je rentrais tard avant aussi. Les 35 heures n’y sont donc pour rien, mais c’est chic de leur faire porter le chapeau. J’ai jeté mes affaires dans le canapé qui traînait par là, j’ai crié quand est-ce qu’on mange, on va pas se laisser aller quand même et surtout faut pas leur donner de mauvaises habitudes, et j’ai allumé la radio.

Vous avez bien lu, la radio. Télé ne prend que quatre lettres, trois même en fait, et aucune ne ressemble à celles de radio, on ne peut pas confondre les deux mots. Je vous précise que j’étais seul ce soir là à la maison. Je le précise parce que je sens une tension dans l’air depuis que j’ai réclamé à manger. C’est à moi-même que je posais la question si vous voulez savoir, pourquoi il y avait d’autres réponses possibles ? ‘Aliénor était partie je ne sais où avec une copine et un petit mot sur la table suivi d’un bisou plein de rouge à lèvres.

J’aime bien que le petit mot sur la table ait l’air d’être parti avec ‘Aliénor, ce qui explique qu’il manque un verbe. Je trouve qu’il est plus sincère ainsi, le petit mot. Le papier est bien là, avec la grosse tache rouge au beau milieu et l’écriture toute droite qui me dit de ne pas m’inquiéter, le film sera un peu long. Mais la pensée du mot est dans le cinéma avec les deux filles. Voilà pourquoi il manque un verbe à ma phrase : en réalité il n’en faut pas, de verbe.

J’ai allumé la radio, vous vous en souvenez j’espère. La musique envahit la pièce. Je sais que c’est un lieu commun, on me le dit toujours, tu es le roi des lieux communs. Comment voulez-vous que je vous le dise autrement, puisque la musique envahit vraiment la pièce. C’est la musique qui est le lieu commun, pas moi qui me borne à vous dire ce qu’elle fait. A la fin de la première mesure, je reconnais Count Basie. J’étais fatigué, je ne l’ai pas reconnu plus vite. Vous allez voir que ce n’est rien à côté de ce qui suit, en matière d’ignorance de l’oreille.

Count Basie, on le reconnaît en deux secondes et demi sans entraînement. Au milieu d’un paysage ravagé par les feulements de trombone, les cataractes saxophoniques, les vrilles trompettesques, on voit se promener deux petites notes qui se tiennent par la main, perdues mais tranquilles. L’oreille ne voit plus qu’elles et on comprend vite que le paysage s’éteindrait si les deux notes disparaissaient. J’ai dit deux petites notes, pas trois, trois petites notes de musique ce serait Juliette Greco. Deux c’est Count Basie. Les deux petites notes dans le vacarme, les Hansel et Gretel du big-band.

J’aime écouter cette radio quand je rentre ; trois fois sur quatre ils n’annoncent pas les musiciens, c’est agaçant mais on se la joue blindfold sans le risque d’être contredit. Il faut toujours écouter la Théhaisseffe. C’était le jazz live et on entendait la respiration des suisses en bas de la scène. Puis démarrage du solo de vibraphone. Tel Clint Eastwood mon oreille dégaine dès la troisième note, Milt Jackson ; après il y en eut beaucoup plus que trois, des notes.

Et là, je commets l’erreur fatale : je me mets à réfléchir. Milt Jackson, meuh non, il n’a jamais joué avec Basie. Ou alors peut-être à ses débuts, mais on sent bien que l’enregistrement ne date pas des années quarante. Je farfouille dans mes souvenirs, non pas que je sache, pas de quartet avec Basie et Jackson. Un contrebassiste ambulant de tous les diables les propulse, un batteur que ce serait Louis Bellson que je ne serais pas plus surpris, mais non, pas Jackson avec Basie. Alors qui, je vous le demande ? Lionel Hampton ? Pourquoi pas ? Vous avez déjà vu un namateur de djase confondre Jackson et Hampton, vous. Moi jamais. Un long débat suit que je ne vais pas vous narrer, controverse frénétique entre mon cerveau et mon oreille. C’est mon cerveau qui a gagné, ce sera Lionel Hampton.

Le saxophoniste surgit de derrière les coulisses. Ce n’était donc pas un quartet, et il y a tout un orchestre peut-être encore à venir. Pas très en forme le saxo. Je connais ce son, mais on dirait qu’il assure sans trop aller plus loin que le minimum syndical. Pas de nom sur ce petit saxophoniste que les suisses applaudissent bien plus que le vibraphoniste. Mon cerveau tout fier d’avoir emporté la décision en conclut qu’il avait raison, Lionel Hampton a souvent eu des saxophonistes petits. Ne me faites pas dire ce que je ne dis pas, et ce n’était certainement pas Illinois Jacket qui n’a jamais su ce qu’était un minimum syndical. En d’autres temps on aurait même pu l’appeler Stakhanov.

Enfin le trompettiste vint, je l’avais bien dit qu’il y avait tout un orchestre. Mais je devais surveiller mon petit salé et je n’ai pas trop écouté le trompettiste. J’aurais dû, tant pis. Coda, applaudissements, annonce. Concert en 1975 au festival de Montreux, d’où les suisses. Le pianiste est Count Basie. On me la fait pas à moi.

Le vibraphoniste est Milt Jackson. La honte, je vous dis. A-t’on jamais vu un namateur de djase confondre Milt Jackson et Lionel Hampton ? Moi, jamais.

Le saxophoniste est Johnny Griffin. Un petit saxophoniste. Ben quoi c’est vrai, par la taille. Il avait peut-être trop arrosé son contrat avec Norman Granz avant d’entrer sur scène, ce qui me donne une circonstance atténuante. Et j’aurais vraiment dû écouter le trompettiste, Monsieur Roy Elridge, toutes ses dents dehors et sabre au clair.

Louis Bellson est le batteur, trop facile, et Hainachopé l’ambulancier implacable. Ils ne devraient jamais annoncer les musiciens, à la Théhaisseffe. On pourrait continuer à faire le malin.

jeudi 2 juin 2005

Démocrate, démocrates.

Le haut du pavé plastronne. On les voit qui arpentent les allées bombant le torse, pas peu fiers des cinquante-cinq pour cents qui leur sont tombés dans l'escarcelle. Bientôt ils vont y ajouter les nee de nos voisins du plat pays et nous en tirer une tirade. Ils n'ont pas vu qu'il y avait plusieurs escarcelles pleines de ces cinquante-cinq pour cent, ils croient que c'est seulement la leur.

Il s'en faudra de peu que les cinquante-cinq deviennent soixante trois, par le jeu des comptes d'apothicaire et des amalganes hasardeux. D'être victorieux les rend arrogants et imprudents.

Naturellement, ils leur arrive sur leur route triomphale de croiser un ridicule partisan du oui. Loin de se mettre à plat ventre en demandant grâce, le partisan du oui, le béni-oui-oui comme disent élégament les victorieux, parfois clame sa colère devant ce qu'il considère comme un immense gâchis, et bien plus qu'une occasion manquée, un retour inéluctable à la barbarie.

Il se trompe peut-être, le béni-oui-oui. Je souhaite qu'il se trompe bien que je sois de ceux-là qui pensent que nous ne pourrons échapper, tôt ou tard, nous ou nos enfants, au désastre que nous venons, à cinquante-cinq pour cent, de nous programmer dans la joie et la bonne humeur.

Je souhaite me tromper, et découvrir dès demain que ce lendemain chante. Je souhaite de toutes mes forces me tromper lourdement. Vous ne pouvez pas savoir à quel point je le souhaite.

Il n'empêche, aujourd'hui, je clame ma colère. Et m'entendant clamer, que font-ils de moi, les victorieux ? Ils me traînent dans la boue. Ils prenent des airs offusqués. Ils me traitent d'arrogant. Soudain c'est moi qui suis devenu arrogant. Je suis malheureux comme les pierres et vous me lapidez avec. Au nom, c'est vous qui le dites, au nom de la démocratie. Parce que cinquante-cinq pour cent a décidé, ce que je ne récuse pas, c'est la loi de la démocratie de ne pas le récuser et de ne pas contester que la décision est nette et sans bavure, enfin nette certainement mais des bavures il y en aura, il faudrait que l'on me retire le droit de crier que cette décision est une catastrophe pour mon pays, pour mes enfants, et pour les enfant des enfants, et pour les générations encore qui suivront.

Les nons savaient mouliner des interprètations très élaborées des virgules des articles de la constitution mort-née, pour en faire des épouvantails à moineaux et les moineaux ont été épouvantés, mais ils ne connaissent même pas le b.a.ba de la démocratie, le droit à exprimer son total désaccord, sa colère débordante, sa tristesse désespérée. Certes je ne méprise pas tous les nons. je ne méprise pas ceux qui ont dit non parce qu'ils avaient toujours dit non, depuis soixante ans. Je combats leurs idées depuis toujours, mais je ne les méprise pas et je leur reconnais au moins de la constance et de la cohérence.

Je méprise ceux qui se sont bercés de slogans et de verbe, je méprise ceux qui se sont drapés dans des toges trop larges pour leurs épaules affaissées, je méprise ceux qui ont répondu à une question qui n'était pas posée en sachant très bien ce qu'ils faisaient, mais comme ils l'ont dit si joliment :"rien à foutre". Je méprise ceux qui ont voulu régner sur les ruines d'un grand rêve en sachant très bien qu'ils ruinaient le grand rêve, mais être le premier sur les ruines que le second dans Rome avec son cul-de-poule, et il va bientôt découvrir qu'il n'aura même pas le règne, je méprise ceux qui sous prétexte de combattre la misère ont claqué la porte au monde. Je méprise ceux qui se sont associés au borgne vociférant, feignant de ne pas le voir alors que c'est à lui qu'ils font la courte-échelle. Voilà qui je méprise.

C'est la règle démocratique que la décision soit celle de la majorité. C'est, aussi, la règle démocratique que ceux qui n'ont pas contribué à cette décision continuent de crier qu'il s'agit d'une mauvaise décision. Et la réponse de ceux qui traînent les béni-oui-oui dans la boue chaque fois qu'un béni-oui-oui crie sa colère, en dit long sur la sincérité démocratique des nons, en dit long sur leur compréhension de ce qu'ils ont fait.

Vous avez le droit de dire que je me trompe. Vous n'avez pas le droit de m'empêcher de dire ce que je pense. Mais naturellement, et je le sais mieux que vous sans doute, je n'ai pas le droit de m'opposer à la décision prise, je ne m'opposerai même pas aux conséquences qu'aura cette décision sur nous tous. Quand bien même je le pourrais, ce qui ne se peut pas.
Je le sais enfin, il n'y a aucun risque d'en entendre un dire un jour : ce n'est pas ce que j'ai voulu. Ils vous trouveront toujours un autre bouc émissaire quand elle sera là, la catastrophe. Moi par exemple.

Le débutant

Bonjour.
Je m'exerce à faire fonctionner la machine mondiale, la toile, l'enserrement fatal. Je veux voir si je vais me prendre les pieds dans le tapis. Il faut bien trouver un lieu vivable.
Il me faut donc un tapis.
Mais il ne faut pas se prendre les pieds dedans.
Ce sera tout pour aujourd'hui.