lundi 22 septembre 2008

Bière pression.


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Voilà ce qu’elle me disait mine de rien, par-dessus la nappe à carreaux : « Tu seras très bon sur la fourchette ». Ensuite, chacun de se récrier avec des airs de nitouche, mais non mais non elle ne te met pas la pression. Mais non, voyons, la pression.

Si encore c’était une bière !

Justement, c’en était une, mais pas celle-là, pas même une mort subite. Une grande boîte capitonnée pour une mort lente, voilà la bière qu’il me fallait avaler sans pression aucune, meuh non. Promis juré. Le cimetière était très loin, il pleuvait de la neige fondue et personne n’était vraiment équipé pour marcher dans la gadoue de sel et de floc pendant deux heures, sans parler du temps sur place en plein vent.

Quelle idée aussi qu’ils soient tous venus par le bus comptant sur la voiture des autres, dans ce village du plateau de nulle part où l’on garde jusqu’à la septième génération le moindre mouchoir, la moindre tomette, le moindre napperon. Cette nappe somme toute était récente, elle datait de la naissance de Fardeau la Frigide, la vieille dans la maison du bord de l’ancienne baignade avec son âne.

Maintenant nous étions bons pour aller à pied au cimetière derrière la colline des Gueuzes. Alors, sans s’être vraiment concertés, nous avions lancé le pique-nique prévu pour après ; il y avait largement de quoi pour deux, d’ailleurs, et nous avions besoin d’engranger des réserves avant l’épreuve. Autant chanter « didn’t he ramble » tout de suite.

photo alibaba.
Quelqu’un avait sorti la nappe somme toute récente, posé les couverts, l’argenterie granuleuse gage de vieillerie authentique mais plaquée, de la première catégorie disait le défunt, déniché des serviettes en tissus, en papier, des torchons présentables ; et on avait déballé sur la table les rillettes, les galantines, les pâtés, les terrines, et les saucissons. Les saucissons ! Comment peut-on vivre sans saucisson ? Ils servent à tout, même aux calembours.

On les avait disposés devant moi. Réputé roi des coupeurs de saucisson, je faisais d’ordinaire des lamelles transparentes aussi goûteuses que les épaisses. D’où un plaisir multiplié. J’avais émis un doute, ce jour là je ne me sentais pas bien dans mon assiette, et elle m’avait cloué le bec avec son « tu seras très bon sur la fourchette ».

La fourchette, bon d’accord. Mais le couteau ? Enfin, tu l’as regardé, le couteau ? Une fine dentelure qui sert de prétexte à ne jamais l’aiguiser, et qui se bourre les dents de chair déchiquetée à la moindre pression, un bout rond, désespérément rond, comme une lune de loup-garou, comme un œil de bœuf. Je n’ai jamais su offrir galamment aux dames du saucisson autrement que fiché au bout de ma pointe, alors un bout rond, de quoi j’ai l’air ?

Tu devines déjà que, gourmand comme je suis de tout ce qui cholestérise, j’ai été très bon à la fourchette. Nettement moins pour les rondelles aux formes ni faites ni à faire, épaisses et vrillées comme jamais je ne fis, ni avant ni depuis. Et ces dames ont dû se servir elles-mêmes à la main sans serviette citronnée.

Je mangeais et buvais dans mon coin, en tentant pour m’occuper de reconstituer un puzzle. Toute la salle s’échauffait au gré du gros rouge et des Gueuzes. La pression montait, en quelque sorte. Nous avions oublié le froid d’un automne précoce au point d’être hivernal, les kilomètres et la boue qui nous attendaient impassibles comme des fleuves, et peut-être aussi l’heure et le mort qui enfin ne demandait plus à goûter dans les assiettes des autres. Soudain quelqu’un s’avisa du retard. « Hé, on nous attend là-haut, faut hialer et vite sinon Y zauront pas le temps de reboucher avant la nuit ».

Je venais juste de finir mon puzzle. Le silence est brusquement tombé sur la salle, une pétrification dans l’urgence. Quand on avait refermé la bière en mettant la pression, on n’avait pas remarqué que la main du mort s’était éclatée dans la charnière. C’est pourquoi j’avais eu du mal à la reconstituer dans mon assiette.
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Modifié le 23 septembre 2008 à 9h45.
Remerciements:
à Alibaba pour la photo qu'il a confiée à Akynou.
à Akynou pour le terrain de jeu à conquérir.
à Anne (Chiboum) pour le coup de pied de départ et les suggestions salvatrices.

vendredi 19 septembre 2008

Prédiction fatale

Ce matin, dans culture matin, à 8h17mn28secondes, Alexandre Adler a prédit la victoire de Barack Obama à l'élection présidentielle américaine.

Le doute n'est plus permis, je lance la construction de mon bunker, Mac Cain va gagner.

mercredi 17 septembre 2008

Auriez-vous dit Dieu ?

Qui ? Dieu !

Je suis allé me promener chez Embrun dont la rumeur persistante annonce son départ pour de froides contrées ou, sinon Dieu, au moins l’Ours le plus civilisé de la terre existe. Il y était question d’un castrat agnostique, pour parler chic.

Je m'arroge le droit d'ajouter un caillou dans ce jardin. Je ne me focalise pas sur la querelle sémantique entre athée et agnostique. Il me semble cependant qu'il y a bien deux sortes d'athéisme. L'un serait d'ordre religieux, à l'instar des théories de Michel Onfray exposée dans son traité "d'athéologie", et que je résume, impertinent, par la déclaration : je CROIS que Dieu n'existe pas.

L'autre serait de l'ordre du laïc (je n'ai pas trouvé d'autre mot). Il consiste à prendre Dieu au mot ; tu me déclares libre de mes choix, donc je DÉCIDE que tu n'existes pas, et je construis ma vie sur cette décision. On sort de l'orbite de la révélation positive ou négative, de l'orbite du subi, de la soumission acceptée, on passe à autre chose. On ne croit pas, on ne croit pas que Dieu existe. Au fond, qu'il existe ou non n'a aucune importance. La négation porte sur la croyance en lui, non sur son existence.

Je suis de cet athéisme-là. Aucune arrogance, aucune volonté d'en imposer à qui que ce soit de ma vérité ou de mes doutes. J'en ai décidé ainsi pour moi et toi, tu fais ce que voudras, comme le proclamait ce bon moine de Rabelais.

Etymologiquement, les deux formes sans Dieu sont bien des a-théismes, athéismes. Que l’on reproche au mot agnostique de constituer un euphémisme qui serait plus facile à assumer n’est pas en débat. Chacun emploiera le mot qu’il peut, selon son degré de détermination, son degré de liberté, et la force de ses doutes. Le doute est ce qui te saisit chaque matin en te levant et chaque soir au moment de l’abandon. A chacun de s’en sortir, ou de cohabiter. Ce n’est pas le choix du mot qui le vaincra, le doute ; il ne sera jamais vaincu. Il faut donc prendre une décision, seul, devant ton miroir. Dieu te laisse seul si par hasard il existe, il ne te donne pas d’indices, il ne te tient pas la main. Il l’a voulu ainsi : tu es homme donc libre, tu décides. Et ta décision ne sera ni récompensée ni punie, quelle qu’elle soit, ou alors elle ne serait pas libre. Tu pourras même changer d’avis en cours de route si tu y tiens ou si tu ne peux plus continuer comme tu pensais pouvoir le faire.

Pardon pour le dérangement.

mardi 16 septembre 2008

La chute.

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Il faut toujours finir par une chute. Le conteur le sait, bonne ou mauvaise, son histoire s’achève ainsi. Il lui faut sauter dans le vide, sans aide ni ailes, sans parachute ni parapet, sans filet ni défilé, il est condamné au point final.

S’il lui arrive que l’image l’entraîne dans son tourbillon de pesanteurs, il n’a plus moyen de s’en sortir. Il pourra tenter de s’évader, parler d’autre chose, se cacher dans le second degré, ajouter du flou à son imprécision, invoquer le sommeil et décrire un vagabond, monter un théâtre et sombrer dans l’ivresse, il sera aspiré comme un haricot et il tombera sur la chute à la fin.

...photo Akynou

J’ai gagné mon pari.

Il faut avouer que la soirée avait été copieusement arrosée et que les discussions avaient fait chauffer le plafond. Plus personne ne savait trop ce qu’il proférait, la foire d’empoigne battait son plein. Le maître des lieux commençait à prendre un air inquiet devant nos enthousiasmes et nos échanges musclés d’arguments définitifs et inopérants.

Une cour de récréation mais en plus vieux, si tu vois ce que je veux dire. Tu ne vois pas ? Je veux le dire malgré tout et je le dis : une cour de récréation pour garçons seuls entre eux. Si j’avais été le maître, j’aurais été plus inquiet encore qu’il n’était. Mais il avait arrosé lui aussi, alors ses brumes le maintenaient dans la protection de son euphorie.

Bien entendu, je ne savais plus de quel pari il s’agissait. Mais il fallait le gagner, c’était devenu une question essentielle, je ne pouvais me dérober. Une affaire d’honneur si tu veux, d’orgueil en vérité. Depuis toujours j’avais toujours gagné mes paris, si bien que chaque fois ils montaient la barre un peu plus haut, ils ajoutaient une marche, un tabou, un escalier. La grande difficulté avec ces histoires s’il manque un maillon, on reste flou et l’on flotte. Il y avait une histoire de flottaison en effet, une rambarde de flottaison.

Il me manque le maillon du pari.

J’avais observé que le maître m’observait, moi c’était en douce, lui ostensible. Probablement que le pari ne lui plaisait pas, du genre ils ne vont quand pas le faire chez moi. Il ne faudrait jamais faire en sa présence des soirées chez le maître, il casse la rigolade. Je ne l’aimais pas du tout, ce proprio avec ses airs d’à la cool, à la coule disait-on de mon temps. J’étais le plus vieux de la soirée, alors je tenais aux prérogatives de mon âge et pour être sûr que nul n’oublie, je répétais sans cesse de mon temps. Ils voulaient tous se débarrasser de moi, avec mes façons de gagner contre toute attente et chaque fois de gros enjeux, bien obligés qu’ils étaient pour motiver mes participations aux paris.

Après, il leur restait à se cotiser. Depuis l’âge de cinq ans qu’on se cotisait pour me payer mes paris gagnés, j’avais acquis une petite réputation à Landerneau, et à chaque soirée un journaliste, un huissier et un policier étaient présents pour vérifier que je ne trichais pas. On en était à la Ferrari, mon vieux rêve. Nous avions tous réussi, ce qui s’appelle réussi, et ceux qui ne souscrivaient pas à l’ISF et au bouclier fiscal étaient depuis longtemps bannis. Les paris étaient indexés sur nos succès en bourse, en télé, en foot, en politique (du bon côté, celui des portefeuilles qui porte à gauche pour les droitiers), enfin toutes ces filières de haute productivité où tu gagnes un max en montrant juste ta trombine au bon endroit.

Aujourd’hui lundi c’était Ferrari.

Neuf étages, quand même. La barre était haute et basse la rambarde. J’avais mon panier volant à la main et je me suis approché du vide. Lentement, très lentement, la tête me tournait, vertige ou arrosage, les deux sans doute. Moi qui ai le vertige sur un tabouret, à vingt-deux mètres, vous pensez. Je ne me suis pas retourné, je sentais le regard fixe du propriétaire braqué sur ma nuque. J’ai délicatement posé le panier en équilibre sur la main courante. Un souffle de dernier soupir de phtisique l’aurait fait basculer d’un côté ou de l’autre.

Le trottoir tournoyait sous moi ; la question était ces poteaux qui empêchaient les voitures de se garer sur les piétons, il fallait pouvoir les éviter sinon la photo serait ratée. J’ai toujours haï les poteaux anti-voiture. Ils m’en ont cassé, des pare-buffles. Voilà qu’ils se préparaient à me casser mon pari, un comble, et me faire perdre la Ferrari. J’ai longuement inspiré, calculé dans ma tête chaque millimètre de geste, chaque succession de mouvements à accomplir. Et quand dans un grand élan soudain le proprio a tenté de me rattraper, j’ai sauté de côté et il a basculé dans le vide juste à l’emplacement du panier. J’ai eu le temps de prendre la photo un millième de seconde avant le choc, et on ne voit pas le sang.

J’ai gagné mon pari.

FIN.

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