Mes climats #2
2 - Un temps de chien
L’homme à la redingote
frissonnait. La pluie redoublait, quelle ânerie d’avoir oublié son chapeau.
Rien pour se mettre à l’abri dans le quartier, les frondaisons des jardins ne
sont que pièges à eau et gouttières sournoises, et les bâtiments aveugles sont
cernés de grilles. L’architecture pompeuse de l’Exposition Universelle n’a que
faire des distraits. Voilà longtemps qu’il ne s’était trouvé dans cet état et
les intempéries lui faisait remonter tous les mauvais souvenirs qu’il avait eu
tant de mal à oublier.
Mais on n’oublie jamais. On
recouvre, on enveloppe, on déguise, mais l’hydre ne dort que d’un œil et un
jour ou un soir, sous l’averse, parce qu’on a bêtement oublié son chapeau, le
chemin de quelques gouttes glacées sous le plastron la réveille. Et l’homme
arrivé, avec pignon sur rue et tapis rouge assuré, se recroqueville dans son
passé de misère comme alors sous son carton dans un porche, agrippé des nuits
entières à la pièce mendiée qui ne pourra le rassasier.
Voilà que les vieilles images
le cernent, formant comme une ronde maléfique, et le silence des Palais
alentour, Grand et Petit, ne parvient pas à couvrir le vacarme. Il titube sur
les allées détrempées et la boue monte le long de ses bottes naguère vernies.
Il voudrait courir mais ne sait où se diriger, tout est brouillé de vapeurs et
de gouttes, tout est transi. Il ne sait même plus comment rejoindre la place de
la Concorde où on l’attend, d’ailleurs il ne doit plus y avoir personne, il est
trop en retard maintenant et la pluie a dû chasser la belle inconnue de
l’Obélisque.
C’est beaucoup mieux ainsi, son
arrivée triomphale avait pris l’eau et, poursuivi par un essaim de misère, tous
ces compagnons d’autrefois qu’il avait cru anéantir, il n’était plus en état de
la moindre saillie. Il aperçut dans sa détresse des lumières dans le bâtiment,
juste là, à côté. Le restaurant venait d’ouvrir. Alors monta en lui cette
douleur qu’il croyait perdue, irrésistible, dévastatrice, comme une vague venue
de l’estomac creux depuis trois jours, mais cette fois-ci il sut qu’il y ferait
face.
La faim justifie Ledoyen.