Histoire d'Athalie
Histoire d’Athalie
C’était
pendant l’horreur d’une profonde nuit. Elle commençait toujours son
histoire de la même façon, je ne pouvais y échapper et chaque fois que
je m’approchais d’elle, elle se mettait à parler en rythme comme on
berce un nourrisson, comme un lecteur de disque bloqué sur la touche
« repeat » : c’était pendant l’horreur d’une profonde nuit, un
alexandrin de bonne souche, la même rengaine effroyable et poétique.
J’assistais en direct à une sorte de cauchemar récité en cadence, et que
je te fais apparaître la mère morte depuis des lustres, et que je te
répare l’irréparable, les lustres toujours les lustres, et que je te
dévore des chiens ensanglantés ; elle me jetait à la figure toutes ces
images, toutes ces images que je mélange un peu désormais, toutes ces
images qui défilaient dans ses yeux et ses mots.
Je ne comprenais pas tout, il y avait même un bel enfant comme un ange qui passe, c’était fatigant à la fin.
Le
pire était quand je passais la visiter au petit matin juste avant de
faire un saut à la mosquée adorer l’éternel, comme disait monsieur le
curé ; je sacrifiais à ce rituel et faisais semblant comme tout le
monde, il fallait bien tenir mon rang dans la cité. Je les confonds tous désormais, ces diseurs de bonnes nouvelles.
A cette heure d’incertitude alors que l’obscurité n’avait pas encore déserté son regard, l’esprit encombré des effrois nocturnes qui l’agitaient, elle déclamait dans les jardins de l’asile d’une voix à faire fondre le givre en hiver et fuir les oiseaux en été, et je devais me forcer pour rejoindre sa silhouette à la fois hautaine et terrassée, à peine distincte dans la brume, déjà fantôme avant la mort. On avait insisté sur l’utilité de venir tôt car, passé ce moment d’angoisse, le reste de sa journée était plus calme quand elle m'avait vu ; alors je me faisais une raison au moins une fois par semaine. J’étais son lien avec le reste du monde, et peut-être en retour m’était-elle un viatique vers l’insondable. Après tout, je l’aimais.
A cette heure d’incertitude alors que l’obscurité n’avait pas encore déserté son regard, l’esprit encombré des effrois nocturnes qui l’agitaient, elle déclamait dans les jardins de l’asile d’une voix à faire fondre le givre en hiver et fuir les oiseaux en été, et je devais me forcer pour rejoindre sa silhouette à la fois hautaine et terrassée, à peine distincte dans la brume, déjà fantôme avant la mort. On avait insisté sur l’utilité de venir tôt car, passé ce moment d’angoisse, le reste de sa journée était plus calme quand elle m'avait vu ; alors je me faisais une raison au moins une fois par semaine. J’étais son lien avec le reste du monde, et peut-être en retour m’était-elle un viatique vers l’insondable. Après tout, je l’aimais.
Son
état s’était aggravé depuis peu et j’avais dû me résoudre à la placer
ici, une maison de bonne tenue et de grande réputation, on peut y mettre les formes et les fleurs, un asile. C'est exactement ce que disent les gens, un asile.
On dit tant de choses, sans savoir, sans comprendre, quand ce serait un royaume. Que savent-ils, les gens, de ces hauts murs et de ce qu’on entend au-delà, parfois des cris et des plaintes qui confortent les idées fausses, parfois des rires et des soupirs, que savent-ils du dévouement et du désespoir ? Elle se tourmentait depuis longtemps déjà et je m’étais habitué à entendre ses remords mystérieux, un passé qui passait mal, et cette histoire d’enfant, un abandon, une mort, un assassinat peut-être va savoir. Comment déchiffrer l’incohérence ? Je ne suis pas de la police non plus et la vérité ne m’intéresse pas, il faudrait déjà qu’elle existe.
On dit tant de choses, sans savoir, sans comprendre, quand ce serait un royaume. Que savent-ils, les gens, de ces hauts murs et de ce qu’on entend au-delà, parfois des cris et des plaintes qui confortent les idées fausses, parfois des rires et des soupirs, que savent-ils du dévouement et du désespoir ? Elle se tourmentait depuis longtemps déjà et je m’étais habitué à entendre ses remords mystérieux, un passé qui passait mal, et cette histoire d’enfant, un abandon, une mort, un assassinat peut-être va savoir. Comment déchiffrer l’incohérence ? Je ne suis pas de la police non plus et la vérité ne m’intéresse pas, il faudrait déjà qu’elle existe.
Pendant
longtemps tout avait été presque normal et elle menait à la maison sa
petite vie de femme au foyer bien sage. Normal, quel mot stupide, comme
s’il y avait quoi que ce soit de normal en ce monde ! Mais bon, c’est ce
mot là que j’ai écrit. Pas question qu’elle ne sorte, évidemment, les
gens n’auraient pas bien compris. Il lui arrivait de monter sur une
chaise et de se proclamer reine de Saba ou bien d’ailleurs, est-ce que je
sais moi, il y a bien loin en ce pays-là, et de partir en vrille avec
douze tribus et un enfant caché, toujours lui, cet enfant qui revient
dans le discours, dans le torrent des mots, l’enfant insubmersible. Puis
elle descendait de son perchoir dérisoire et me préparait mes falafels
et un gigot d’agneau pour Pâques.
A
la maison, c’était vivable et commun. Mais je ne pouvais envisager
qu’elle sorte, au risque de la voir escalader la fontaine de la place ou
le kiosque à musique, pour y élucubrer. Alors il ne fallait pas sortir
et c’est tout. A vrai dire, nous respections notre convention : elle
restait à la maison et y régnait sans partage ; tout lui était dû et
elle seule pouvait changer l’ordonnancement, la décoration, les menus,
sans que je puisse seulement froncer un cil. Je devais apporter le
nécessaire et le superflu à la demande et l’on tolérait un peu de retard
mais pas trop. En échange, elle faisait tout elle-même, peinture
carrelage maçonnerie cuisine et dépendances. J’étais servi à table
ponctuellement midi et soir, j’avais ma liberté du petit déjeuner et de
mes vagabondages dans les ténèbres extérieures où ne sont que pleurs et
grincements de dents. Il fallait bien y vagabonder, à l’extérieur, ne
serait-ce que pour trouver les ingrédients de notre vie, cernés par les
voisins hostiles heureusement plus divisés entre eux qu’unis contre
nous. Ma reine de Saba ou de Babel selon les jours provoquait chez eux
désir et méfiance et un mauvais coup est si vite arrivé.
Ainsi
tout était pour le mieux à ces petits détails près. Les petits détails,
on ne peut jamais échapper aux petits détails qui clochent.
Mais
voilà, c’était trop facile et l’on arrive toujours au bout de son pain
blanc. Les nuits devenaient agitées, insoutenables, et pour finir
s’était installé ce cauchemar en alexandrins, récurrent et rabâché, avec
la belle-mère fardée comme une gamine qui ne s’est pas vu vieillir et
la meute de vampires déguisés en King Charles, sans oublier le bel
enfant, toujours présent celui-là. J’ai tenu le coup quelques semaines.
Mais j’ai fini par comprendre que je ne m’en sortirais pas tout seul.
Tant que je restais immobile tout allait à peu près. Elle roulait des
yeux de folle comme si elle l’était, mais elle ne disait rien. Dès que
je bougeais, elle se jetait dans son récit en gesticulant, une tragédie
grecque ma parole. Il fallait pourtant bien que je bouge, que je me
remue, aller et venir, tout simplement vivre. Je ne pouvais pas prendre
racine.
Ils l’ont emmenée. J’ai réussi mon coup.
J’avais
appelé les infirmiers et je leur avais demandé de se déguiser en
philistins. En quoi ? Mais oui, en philistins, avec turban cape et
pantalon bouffant. Ils m’ont dit pas de problème, c’est notre tenue de
travail. Ils sont arrivés au beau milieu de l’après-midi en pleine
chaleur, et en les voyant son visage s’est éclairé. Enfin je retrouve
mon armée s’écria-t-elle, et elle monta sur sa chaise habituelle pour
les haranguer. Sa joie fut totale quand ils l’entourèrent et la
portèrent en triomphe jusqu’à l’ambulance. Elle n’eut pas le temps de
descendre de son piédestal, un jeune stagiaire d’un geste vif et fatal
l’avait piquée à l’épaule et endormie.
Voilà
toute l’histoire. Depuis je me sens seul. Les voisins ne s’intéressent
plus à moi et se chamaillent en d’interminables procès sur la hauteur
des clôtures, la longueur des branches d’arbres, le bruit des tondeuses à
gazon et des pétards qu’on se jette, le chemin de servitude. Je me fais
ma bouffe, il n’y a pas d’autre mot, et le gigot pascal est trop cuit à
chaque fois. Je vais lui rendre visite tous les samedis à l’aube,
adorer l’éternel me dit-elle en souriant, heureuse au fond malgré ses
terreurs nocturnes car elle s’est prise d’affection pour le stagiaire
qui pique si bien l’épaule et qu’elle appelle mon fils.
XMA-PL - Avril 2013.
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