mardi 15 septembre 2020

NAISSANCE DU TEMPS

Quatrième de couverture

Une terre, une tour, une île ? Là-bas il fait aussi froid qu’au fond de l’Écosse. Les crépuscules n’en finissent pas de crépusculer. Et pourtant ce n’est pas l’Écosse et il ne fait nuit qu’une fois par jour. Il ne fait pas bon rêver d’elles, on n’est jamais sûr de se réveiller et peut-être vaut-il mieux qu’on ne s’y réveille pas. Au moins si on savait où elles se trouvent, on pourrait comprendre, un océan nordique, un soleil de minuit, un cinquantième rugissant, ces choses difficiles mais identifiées, répertoriées, balisées, surveillées. Rien à quoi se raccrocher ni dans l’espace ni dans le temps.

Il y a eu de la vie pourtant sur ce rocher, voilà longtemps. Des vies heureuses, ensoleillées, paisibles. La mer était un grand lac amical où se reflétait la tour. La terre prodiguait ses bienfaits jusque dans les creux rocheux garnis d’humus où poussaient des légumes pour chaque saison, et les orangers sur la petite terrasse donnaient assez de fruits tous les jours de l’année. Leurs fleurs embaumaient du matin au soir et du soir au matin. Des oiseaux multicolores animaient le ciel de leurs chants enjoués, signalant à leurs congénères les allées et venues de l’homme et de la femme qui habitaient là, sur cette île du bout du monde, du début du monde, pour l’éternité qui s’annonçait, avec leurs deux beaux garçons chamailleurs.

Un petit banc de sable les reliait au reste de l’univers, recouvert deux fois par jour par la marée. Une île deux fois par jour, une terre deux fois par jour, qu’il y ait de la lune ou qu’il n’y en ait point. Ainsi s’égrenait le temps dont on peut se demander aujourd’hui s’il existait vraiment. Y avait-il seulement une pendule, une horloge, une clepsydre, un sablier, là-bas ?

Un soir tout a chaviré. Était-ce un soir ou était-ce un matin ? Tout est devenu subitement si sombre qu’on a envie de prétendre que c’était le soir et c’est à ce moment que l’heure a pris ce faux air crépusculaire. Mais rien n’est écrit et les matins sont parfois plus terribles que les fins d’après-midi. Le lac paisible s’est déchaîné, les nuages ont obscurci le soleil, la tour a pris une irrésistible allure d’Écosse façon Île Noire, et les creux dans les rochers ne sont que repaires de mollusques immangeables, anfractuosités stériles.

C’était l’an deux de la Genèse et Caïn venait de tuer Abel.

 

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