jeudi 18 mars 2021

RIENS du TOUT

 

1.                 L’arbre et le firmament (poème)

La nuit d’horreur était profonde. On y voyait pourtant comme en plein jour, les éclairs succédaient aux éclairs que le tonnerre n’en pouvait plus de les suivre. L’arbre isolé dans la platitude du paysage n’en menait pas large, on lui avait assez répété qu’il n’est pas prudent d’être un arbre isolé par ces temps qui courent. Et tout autour de l’arbre, semblable au couvercle en verre trempé d’une poêle à frire, le firmament se déployait de toute son immensité, il n’était pas firmament par hasard.

A force de se déployer, il dispersa sa fureur aux quatre coins de l’univers qui en est pourtant dépourvu, de coins, et le matin se réveilla auprès de son arbre invaincu comme la blonde de la chanson.

2.                 Séjour-Club (dialogue)

« Où vas-tu avec ta valise à roulettes ?

Je pars en vacances en Bulgarie.

Mais pourquoi des roulettes ?

Parce que je n’ai pas de parapluie.

C’est en effet moins dangereux surtout s’il fait beau.

Non, le beau temps n’a rien a voir car la Mer Noire est gelée.

Tu crois vraiment que la Mer Noire gèle par beau temps ?

On le dit, alors j’ai mis des pneus à clous sur mes roulettes.

Tu penses à tout mais tu ne sais pas de quelle couleur sera la glace de la Mer Noire. Ce serait rigolo qu’elle soit comme tu le penses.

Tout dépend du modèle de roulettes. Je veux dire la couleur de la mer et du parapluie.

Mais tu as bien dû faire un choix.

C’est un secret, et j’ai longtemps réfléchi.

Et alors ?

Alors rien. La mer est bleue, la glace est blanche, et le séjour club.

3.                 Sévices de nuit

Ce qu’il détestait le plus, c’était les lumières clignotantes. Elles étaient là soi-disant pour attirer les passants, les noctambules, et les faire tomber dans les pièges à touristes, à solitaires, à naïfs. Mais il y en avait tant qu’elles finissaient par s’éteindre réciproquement, se neutraliser les unes les autres comme le fait avec les ondes sonores un casque anti-bruit actif. Il n’en restait qu’une lumière brutale indistincte dont on ressortait épuisé. Il avait beau l’expliquer à son patron, celui-ci n’avait jamais compris pourquoi il prenait son service de nuit équipé de lunettes noires.

4.                 Musique lente

Le chef d’orchestre a dit lent. Il n’a pas dit doux, il n’a pas dit harmonieux, il a dit lent. Alors on va régler la cadence à cinq, il sera servi, le chef. Cinq battements par minute, ce sera quand même assez lent pour sa lenteur, non ? Ensuite on prendra les tambours, et on pourra taper tant qu’on voudra sur la grosse caisse, du moment qu’on reste à cinq on est bon. On pourra passer sans coup férir du futur au présent tellement c’est lent que personne n’y voit que du feu. On peut même prendre son élan depuis l’autre bout de la pièce avec sa mailloche, depuis le fin fond de l’amphithéâtre, et se ruer sur la peau sonore, on a tout le temps avant la mesure suivante, le vacarme peut faire le tour des remparts sans rompre le rythme.

C’est pareil pour les trompettes et dérivés. Inutile de les accorder, du moment qu’on reste à cinq. Chacun souffle dans son cornet, son bugle ou son cor à pleins poumons, les oreilles se recroquevillent sur les tympans, les verres en cristal éclatent, les sourds entendent.

Et s’effondrent la septième fois les murailles de Jéricho.

5.                 Les survivantes de novembre en ex-RDA

Deux en un. Voilà ce qu’ils disent dans la pub. On ne vérifie jamais si c’est vrai d’autant qu’on ne sait jamais deux quoi en un quoi. Alors ce n’est pas grave de prétendre qu’ici il y a deux histoires en une, même si je n’ai aucune idée ni de l’une ni de l’autre. C’est bien le principe du deux en un appliqué à la lettre.

Tout d’abord, si survivantes il y a, l’histoire est finie, le danger est passé par définition, et elles sont là à me regarder d’un air furieux en attendant que je leur trouve une raison d’être. Il faut bien qu’on ait survécu pour quelque chose, semblent me dire leurs yeux étincelants. Je les trouve belles dans leur colère je ne dirai donc rien de plus.

Ensuite, novembre en ex-RDA est insensé. Ou bien je m’enferme dans une de ces machines à remonter le temps qui se dérèglent sans cesse, ce qui fait la joie des auteurs de science fiction en mal de scénario biscornu, et je me retrouve sous la férule de ce bon vieux sinistre camarade est-allemand dont le nom ne me revient plus mais faut-il vraiment qu’il me revienne ? Mais alors ce n’est plus en ex-RDA que je suis mais en RDA tout court, tout brut, tout brutal, et peu importe le mois de mon débarquement sur place, même ce novembre-là qui vit tomber le mur. Ou bien je suis ici et maintenant, novembre ou avril, il n’y a plus de RDA, Dresde ou Leipzig sont en Saxe et nulle part ailleurs, pas même une Traban en vue pour passer à l’ouest.

Qui pourrait espérer draguer une survivante en colère avec une Traban ? Erik Honecker, peut-être, et encore.

6.                 Correspondance divine

Mon cher vieux frère, figure-toi qu’en rentrant de mission le mois dernier j’ai été pris dans une tempête complètement folle, un chef-d’œuvre de tempête au point que je te soupçonne de t’y être personnellement investi, juste pour m’agacer. Tu en serais bien capable.

Au lieu d’accoster à Ceylan comme prévu, j’ai dû affronter un fabuleux naufrage au fin fond de la Mer Egée comme n’importe quel Odysseus légèrement homérique. Je n’ai rien compris à ton film, sacré Poséidon, mais ce n’est quand même pas toi qui parviendras à me faire perdre ma zénitude. Foi de Bouddha, j’en ai vu d’autres.

Tu as cru chahuter mon savoir en géographie et me faire prendre mes détours pour tes lanternes, mais j’ai trouvé amusant de profiter de cette anomalie voyageuse pour enfiler un déguisement d’invisibilité et, incognito, escalader le Mont Olympe qui se dressait non loin de mon naufrage. Je dois t’avouer que je n’ai pas été déçu de l’escapade.

J’en suis même assez content. Parce que ton caprice des Dieux, là-haut, que tu ne cesses de m’agiter sous le nez de ma méditation, n’est rien qu’une abominable pétaudière.

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