PERE NOEL EN FUITE
Le Père Noël était coincé en ce soir du 24 décembre
1942. Il faisait un froid épouvantable et n’en déplaise aux beaux esprits qui
ricanaient qu’à Noël il fait toujours froid, il faisait beaucoup plus froid que
froid et même le ciel étoilé était verglacé. Il avait dérapé dans un virage en
pente de la voie lactée et s’était enfoncé dans le bas-côté entre Bételgeuse et
Andromède. Impossible d’en sortir.
Plus personne n’allait passer dans le coin, sauf bien
entendu l’inévitable patrouille allemande. « C’est bien ma chance, pensa
Harry Baur dans son déguisement de Père Noël, moi qui croyait être
définitivement invisible ». Trop sûr de lui, il n’avait même pas emporté
son ausweis, et les costumes de renne dont il avait affublé ses trois mules
commençaient à partir en charpie.
Il ne fallut pas longtemps aux soldats pour éventer la
comédie, contrariété supplémentaire pour un grand acteur comme lui, et pourtant
ce soir là ils n’avaient pas du tout envie de faire du zèle. Mais ce n’était
pas permis d’être à ce point cousu de fil blanc, ils ne pouvaient fermer les
yeux. Après un long moment d’efforts, le chariot était lourd, le terrain plus
glissant que jamais, la neige tombait à travers le ciel noir, et les mules
faisaient de la résistance, ils réussirent à redresser l’attelage et quittèrent
Orion pour emmener tout ce petit monde à la kommandantur. Harry Baur quant à
lui était résigné.
Malgré l’heure tardive, et après avoir renvoyé les
soldats dans leurs foyers réquisitionnés, visiblement épuisés par l’aventure,
l’officier de garde décida d’interroger ce père noël inhabituel que chez lui on
appelait Santa Klaus. Il aimait interroger les gens, une sorte de péché mignon,
surtout les nuits de Noël. Après tout, cet énergumène massif était peut-être un
aviateur anglais, un espion américain, un terroriste, un juif. Ne l’avait-on
pas déjà signalé comme juif, Harry Baur ? Il y a tant de gens soucieux de
rendre service.
Il voulait en avoir le cœur net. Personne ne se
souvient du nom de cet officier qui décida de sacrifier son réveillon pour
faire éclater sa vérité et qui échoua : quatre mois plus tard il dut
relâcher le citoyen Baur qui ne lui avait rien appris ne sachant rien, sans
parler de l’entretien des mules et du parking du traineau. On peut l’appeler
Hans, ce n’est pas garanti mais c’est commode.
Hans est celui qui, pour de mauvaises raison mais en est-il
de bonnes, eut la peau du plus grand acteur français d’avant-guerre et
peut-être de tous les temps. Hans a survécu à la défaite de son pays. Il est
devenu homme d’affaires prospère et a voyagé à travers le monde. Un jour, se
promenant sur Colombus à San Francisco, fatigué, il s’est assis sur un des
rares bancs de l’avenue. A côté de lui se tenait un vieil homme qu’il reconnut
aussitôt.
« Que faites-vous ici, Monsieur Baur ?
- Je ne suis pas monsieur Baur, bougonna le vieux. Je
suis le Père Noël ».
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