Il était une fois le néant. Enfin, le néant, je ne sais
pas, je n’en suis pas sûr, je n’y étais pas. Forcément, je ne pouvais pas y
être sinon ce n’aurait pas été le néant. Quoique.
Mais n’insiste pas, je n’y étais pas je m’en
souviendrais. Je me souviens toujours de rien quand il faut s’en souvenir,
alors le néant, c’est facile. Treize virgule sept milliards d’années, ce n’est
pas si loin après tout. Loin, j’ai écrit loin, je n’ai pas écrit longtemps,
mais loin. A cet endroit là il y avait un mur, il y a un mur, car il existe
encore et j’ai bien peur qu’il existe bien longtemps après que je sois moi
aussi devenu le néant que je suis peut-être déjà. On le nomme le mur de Planck,
ce n’est pas une blague et d’ailleurs Planck s’écrit Planck et pas autrement.
Je ne connais aucun maçon de ce nom là mais c’est ainsi qu’on le nomme et il
est non seulement éternel et infini, mais également infranchissable.
Le rêve fou de tout maçon sachant maçonner.
Pourtant c’est faux. J’en connais un qui a su le
franchir. C'est le temps. Il s’est éloigné un peu plus et il s’est remonté lui-même. Il est
tombé de l’autre côté et il est mort. Le mur de Planck est un assassin, il a
tué le temps.
Le plus gros dictionnaire du monde est celui qui n’a
jamais eu le dernier mot.
Pendant la réunion de négociation salariale, le délégué
voulait absolument que je montasse sur mes grands chevaux. J’ai bien été obligé
de lui avouer que je n’avais qu’un petit poney peiné.
La ferme du Poitou où vivent le coq et la pendule de la
chanson est une bâtisse très ancienne qui remonte sans doute aux temps
lointains où parfois surgissaient du sud profond quelques bandes venues
d’au-delà des monts, des bandes de Maures. Ce n’est pas un hasard qu’elle
soit au lieu-dit La Sarrasinière. Les
autorités de l’époque on su mettre bon ordre à tout cela, on a même prétendu
qu’une bataille avait eu lieu dans les parages.
Rien de certain cependant, sinon pour la glorification
posthume du grand-père de Charlemagne et de la Troisième République
réunis : les bandes s’évanouissaient dans la nature dès qu’un heaume
dépassait des fourrés, solubles dans le décor, ce qui me donne un petit quelque
chose de berbère.
Depuis ce temps là, chacun dans la ferme a son esprit
bien à lui. La vieille tante a l’esprit de l’armoire, pas question de l’ouvrir
sans faire grincer la porte qu’elle seule ouvre en silence. Le chef de famille
fait le tour des chais pour surveiller l’esprit de vin. L’esprit de la grande
table de la salle à manger encercle la maîtresse des lieux quand s’y pressent
les maquignons affamés les jours de foire. Et moi je reste tranquille à l’étage,
personne ne vient, car j’ai l’esprit de l’escalier.
Ce n’est jamais très agréable de vouloir se coucher
avec les poules pour faire la sieste. Elles s’ébrouent, caquètent, sautillent,
et franchement l’odeur n’est pas ma tasse de thé. J’ai trouvé une solution pour
qu’elles me laissent tranquille : je les étonne en leur posant un lapin.
C’était à la fin de ma dernière histoire. Je l’avais
sortie du fond du puits où elle allait se noyer ; je l’avais attrapée par
la main mais toute mouillée elle glissait alors pour éviter de perdre ma chute
j’ai dû la tirer par les cheveux. Elle a hurlé de douleur et il a fallu que je
lui explique que c’était le seul moyen pour qu’elle ne finisse pas en queue de
poisson.
J’ai eu beau froncer les sourcils, injurier le ciel et
courir comme un dératé dans les couloirs du vieux manoir plein d’armures
rouillées, je n’ai jamais réussi à faire la pluie et le beau temps. J’ai juste fait tomber des hallebardes.
Mais où est donc Ornicar ?
Je vois bien où tu veux en venir, avec ta question. Si
tu crois que je vais te lâcher le morceau, tu te trompes lourdement, tu te
trompes grave comme diront nos arrière-arrière-arrière-petits-enfants mais en
aurons-nous seulement, de tels descendants avant que ne survienne la fin du
monde ? Je ne suis pas monté à Paris depuis ma terre normande pour trahir
des secrets qu’on ne m’a pas confiés, contrairement à ce que tu crois.
En vérité je te le dis parce que je ne me prends pas
pour n’importe qui, je ne sais rien de cet Ornicar dont on t’a fait croire que
c’était mon ami grammatical et je pense même qu’il n’existe pas encore à
l’instar des descendants. Nous sommes, toi-z-et moi, de vieux français, nous
conjuguons et nous déclinons tant bien que mal, nous en perdons peu à peu notre
latin et les théoriciens austères et patriarcaux de l’âge classique qui
viendront régenter notre parler si souple et joyeux ne sont pas encore nés.
Tu vois trop loin dans l’avenir, mon cher
questionnement, et n’ont de sens que les réponses que l’on connaît déjà, non
point celles sans tête ni queue aux questions sans queue ni tête comme dirait cet
autre ectoplasme, et où ni mais or car donc.
Comme chaque année, l’organisation de la diffusion des
sujets du bac avait fait l’objet des plus grandes précautions. Dame, 5218
étoiles à approvisionner en même temps, à raison de dix-huit millions de centres
d’examen par étoile en moyenne approximative, sans qu’il y ait la moindre
fuite, il en fallait, de l’habileté, de la préparation, de l’organisation, de
la compétence et du verrouillage, sans parler des délais.
C’est bien simple, compte-tenu de la vitesse de la
lumière et des décalages horaires, pour que l’étoile la plus éloignée soit
servie en même temps qu’ici, il avait fallu lui envoyer la cyber-enveloppe
cryptée en juin 2017.
Elle contenait le sujet suivant : « une œuvre
d’art doit-elle avoir du sens ? »
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