ATTENTION : Chute de pierres
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L’ère secondaire bat son plein. Voilà cinquante
millions d’années qu’elle dure et depuis belle lurette le Trias Supérieur a
recouvert ses grands frères Moyen et Inférieur. Les dinosaures ont mis en place
une brillante civilisation sur toute la surface de la terre, harmonieuse et
paisible. Il fait chaud et même aux pôles la température ne descend jamais au
dessous de 12°5, sans jamais excéder 37°2 le matin à l’équateur.
L’Afrique s’est séparée de l’Amérique du Sud pour de
nouvelles aventures, mais ne s’est pas encore collée au bouclier Eurasien. Le
maître du monde est un Diplodocus attentif et rigoureux, trois mètres de
longueur débonnaire et bienveillante. Seuls quelques énergumènes agités viennent
troubler l’ordre confortable et tiède de ce monde lisse à sang froid, ces
petits garnements de tyrannosaures qui du haut de leur vingt centimètres de
taille passent leur temps à mordiller les chevilles des herbivores endormis. On
les écrase d’une chiquenaude ou on les exhibe dans des cirques où ils font rire
les petits diplodocus minimalis à sautiller d’un air énervé.
On s’ennuie un peu à Reptil-City, qui recouvre toutes
les terres émergées de ses villes vertes et de ses prairies urbaines. Quand
Diplodocus premier est fatigué, on le remplace par Diplodocus deuxième et ainsi
de suite, on trouve en général un ou deux volontaires et les vieux se
réunissent en un congrès mondial pour choisir.
Tout va bien. L’évènement que je dois raconter s’est
produit sous le règne de Diplodocus 2518. L’ennui avait vraiment gagné toute la
planète et même l’agitation des tyrannosaures-roitelets n’amusait plus la galerie. Les
astronomes avaient repéré un long cigare croiseur dans les étoiles qui se
dirigeait vers la terre. Ils avaient calculé que son orbite hyperbolique allait
s’enrouler autour du soleil et relancer sa trajectoire vers les étoiles
lointaines, effet fronde comme ils disaient.
Ils avaient oublié dans leurs calculs que la relance à
pleine vitesse allait recouper l’orbite terrestre au moment même du passage de
la planète bleue, qui s’est pris le cigare dans la tronche exactement en bordure sud
de la partie émergée du Limousin, au lieu-dit Rochechouart bien que personne à
l’époque n’ait connu la Vienne ni la Charente. L’ébranlement fut planétaire et
la civilisation si contente d’elle disparut sans laisser de trace.
Les grands
reptiles moururent en masse mais pas tous. Ils perdirent la mémoire de la
catastrophe et devinrent ce qu’ils sont, juste des reptiles. Le Trias cessa de
l’être et s’appela Jurassique, Lias pour les intimes, inférieur pour les
dédaigneux. Des terres émergées sombrèrent et de nouveaux continents se mirent
à flotter. Les tyrannosaurus-rex que plus personne ne venait contrarier commencèrent
à grandir au-delà du raisonnable, histoire de se faire remarquer dans les
bandes dessinées et les films d’épouvante, et pour se défendre les diplodocus
survivants crurent bon de grandir à leur tour mais le cerveau ne suivit pas,
devenant ces monstres imbéciles qu’on affiche dans les galeries de l’évolution.
Et peu à peu la planète devint un enfer. Encore un peu
de temps et elle sera prête pour accueillir l’homme.
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