jeudi 6 juillet 2023

Les vacheries de l'heure (le carnaval des animaux)

 

L’heure d’été, pour ou contre ?

Un pré. Une clôture. Une voie ferrée derrière la clôture, envahie de ronces. Le dernier train est passé par ici il y a bien sept années, on n’en a plus revu depuis. Pas rentable a proféré le comptable en chef des comptes étriqués.

Deux copines bavardent en regardant ce gâchis. Enfin, l’une parle et l’autre écoute, c’est ainsi que l’on reste copines, quand on est copines.

« Oui alors tu comprends, on consulte à tout va, on communique, on débat, on s’injurie, chacun est le bobo de l’autre et d’ailleurs sait-on ce qu’est un bobo ? Ne serait-ce pas justement celui dont on pourrait avoir besoin un grand soir, on a fait pire comme bourgeois que ce bourgeois-bohème ; les destructeurs sociaux ne sont pas ceux-là, mais c’est si commode de se tromper de cible pour cause de petite jalousie, et on admire les potentats dans leurs yachts quand on hait les intellos qui ont eu la chance, ou l’énergie, ou l’audace après des années de travail acharné, de se trouver un logement décent, voilà.

« Je te parlais de quoi déjà ?

« Ah oui, l’heure d’été, les injures, les bobos, tout ça ; les couche-tôt croisent les lève-tard ou le contraire je ne sais plus, et les économistes font comme d’habitude ils récitent leur catéchisme soi-disant moderne écrit il y a un peu plus de deux siècles par ce vieux roublard d’Adam Smith et comme d’habitude ils se trompent, et pour finir ils changent d’heure le dernier dimanche de mars. Puis ils décident que ce sera le dernier changement d’heure, le der des der, à moins qu’on ne le reporte à la prochaine calende sans que personne n’ai la moindre idée de ce que peut bien être une calende, ce qui va encore donner du temps au temps.

« Une idée de mars, peut-être ?

« Dans ce tohu-bohu, je te demande un peu, ma vieille Blanchette, s’il se trouverait quelqu’un pour venir nous consulter et obtenir notre avis. Parce que quand même, nous autres vaches laitières, nous devons bien avoir un avis sur la question de l’heure d’été. Qui oserait nous dénier ce droit fondamental, article premier de la déclaration des droits des vaches laitières, nous ne sommes pas des bœufs enfin ! Qui mieux que nous sait que la position du soleil est un enjeu essentiel de la rumination et de la lactafication ? Pour le coup, les économistes auraient du pain sur la planche, et les fromagers, et les gastronomes, et le camembert au lait cru.

« Lactation ? Galactogénèse ?

« Tu me fatigues, Blanchette. Comme toujours, ce sont les plus concernées qui sont les moins interrogées, en fait qui ne sont pas interrogées du tout. Nous sommes les invisibles. Ils bâtissent des châteaux de cartes sans savoir qui va y habiter, mais surtout pas eux. Ils ne savent pas si on existe, qu’on existe, et que sans nous ils ne seraient rien. Ils se croient Dieu et n’ont pas compris que Dieu n’existe pas. Un jour viendra que le château de cartes les ensevelira et je n’en aurai ni plus chaud ni plus froid. Leur catastrophe ne sera pas mienne alors que ma catastrophe sera surtout la leur. Si tu veux l’argent du beurre, tu dois être à l’heure de la fermière, alors moi je te le dis, Blanchette, foi de génisse Limousine, enfin, une vieille génisse bien que je ne fasse pas mon âge, je te le dis une bonne fois pour toute, l’heure d’hiver ou l’heure d’été je m’en tape le pis, c’est le changement d’heure qui me le gonfle ».

Ainsi parlait la Limousine.

 


 

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