Le liquidateur
Voilà maintenant six mois que je suis au chômage,
depuis que la jardinerie où je travaillais a fait faillite. Le liquidateur
judiciaire n’est même pas en mesure de me verser mon indemnité de licenciement,
la caisse est vide comme il dit, et il joint le geste à la parole en retournant
ses poches de pantalon laissant tomber un peu de sciure. Les beaux esprits qui
savent toujours tout me serinent que je dois aller aux prudhommes, je n’ai même
pas les moyens de serrer la main d’un avocat. Alors je le harcèle, je n’ai rien
d’autre à faire, chaque jour un coup de fil ou une visite ou un courrier. Entre
temps je fais des petits boulots à droite à gauche, les vignerons de Cahors ont
souvent un trou à boucher.
Un matin, alors que pour une fois je faisais la grasse
matinée, on frappa des coups violents à la porte de mon cabanon, c’est tout ce
qui me reste pour m’abriter. J’enfilai n’importe quoi à la hâte et j’ouvris à
mon liquidateur préféré, furieux. Je veux dire que nous étions furieux tous les
deux, évidemment pour des raisons différentes ; moi par manque de sommeil,
lui par trop de lecture. Je me souvenais vaguement avoir sur un coup de sang
envoyé avant-hier une lettre assez musclée et il venait exiger des
explications.
Il m’a fallu du temps pour le calmer. D’abord, le
temps pour moi d’émerger, pendant lequel sa colère se heurtait, ou plutôt ne se
heurtait pas, à mon brouillard mental en voie de dissipation, ensuite le temps
de nous préparer un café sans lequel je ne suis que zombie évanescent, enfin le
temps de lui faire répéter sept fois les termes de la lettre qu’il connaissait
par cœur et que j’avais oubliés.
En gros, cette lettre comportait une sorte de chantage
dont je ne suis pas très fier mais, à force de faire des petits boulots chez
des gens qui se connaissent tous et qui parlent sans même me remarquer, on
finit par compléter des puzzles. Je suis là, je ne me cache pas, je fais du
bruit, mais rien, ils ne voient rien quand moi j’entends. Il était donc obligé
de me payer mes indemnités. Je n’avais pas du tout l’intention de lui demander
davantage, mais il a longtemps cherché à diminuer la somme. Pardi, ses poches
étaient toujours aussi vides.
Je l’ai souvent remarqué, c’est lors de discussions
inextricables où chacun est enfermé dans une logique incompatible avec les
autres mais où il est encore plus impossible de ne pas conclure, qu’une
solution surgit qui n’a rien à voir avec les exigences ni les possibilités du
départ. Il suffit d’y mettre le temps et d’enfermer les protagonistes. C’est
ainsi qu’il m’a proposé, pour un euro symbolique, de récupérer tout le matériel
laissé à l’abandon par le patron de la jardinerie en faillite. J’ai bien tenté
de négocier l’euro en question mais il m’a dit avec grandiloquence qu’on ne
négociait pas les symboles.
Jardiner est mon métier et je savais exactement quoi
faire de ce fatras un peu rouillé. Ma seule objection fut la taille du cabanon
et du pas de porte, dont le liquidateur ne pouvait nier l’inadaptation, même
avec sa mauvaise foi la plus sincère. Il dut, une fois de plus, réfléchir
intensément, et après avoir téléphoné à la terre entière il finit par me
recommander à son vieux père ; il dispose d’un garage vide depuis qu’il a
vendu sa voiture incapable de la conduire, et il serait d’accord pour me le
prêter en échange de l’entretien de son jardin.
Je suis aujourd’hui le jardinier le plus riche du
Quercy.
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